De Bloomsbury en passant par Court green...

11 mars 2023

Astrid Lindgren, une Fifi Brindacier dans le siècle

Astrid Lindgren
Une Fifi Brindacier dans le siècle
de Jens Andersen

D’Astrid Lindgren, je ne connaissais que le premier tome de Fifi Brindacier. Il a été lu et relu par mes sœurs aînées, puis par moi, et ensuite, je l’ai raconté à mes petits frères. J’ai toujours le livre d’origine, il a quelque chose de magique je crois. Il y a quelques années, je l’ai même adapté en braille pour une jeune brailliste, qui a été enchantée.

J’ai découvert une femme extraordinaire, d’une force de caractère incroyable, obnubilée par le travail, sans pour autant oublier ses enfants. Toute sa vie, elle a tenu un journal, qu’elle écrivait en sténo, elle a toujours répondu au courrier qu’elle recevait, et avait tout conservé !

Jens Andersen (l’auteure de ce livre) a pu se servir de ce précieux héritage, ainsi que d’interviews, de photos, de témoignages pour écrire cette biographie d’une très grande qualité. Elle l’illustre par des anecdotes et des photographies.

« Le sens de la vie, ce n’est pas ça : accumuler de l’argent et des objets, vivre une vie de star et se retrouver dans la rubrique célébrité des magazines, avoir tellement peur de la solitude et du silence au point de ne jamais parvenir à se poser calmement la question : que vais-je faire du petit moment que je passe sur cette terre ? » Astrid Lindgren.

Je ne vous raconterai pas la vie d’Astrid Lindgren, je crois qu’il faut la découvrir soit même, vous serez étonnés, heureux. Je suis restée bouche bée à certains moments, cette femme a toujours été en avance sur son temps, elle a toujours fait ce qu’il fallait pour garder sa liberté, envers et contre tous. Quelle femme !

Claude

Première page.

À la garçonne

« Entre l’âge de quinze et vingt-cinq ans, on réussit à vivre environ quatre vies différentes. » C’est le constat qu’a fait Astrid Lindgren dans les années 1960 lors d’une émission de la télévision allemande qui parlait des stades de la vie d’une femme. Avec le même charisme naturel qui, à la fin des années 1940, avait fait de l’auteure pour enfants une star de la radio suédoise, elle a parlé de ce sentiment écrasant d’avoir été quatre femmes différentes au cours d’une période de dix ans :
« Et pour commencer, comment étais-je quand j’avais quinze ans ? Je sentais que j’étais adulte et je n’aimais pas ça. »
Et cette gamine de quinze ans, solitaire, mal assurée et parfois malheureuse qui trouvait le réconfort dans le monde des livres s’est métamorphosée au cours des années suivantes pour devenir une jeune fille extravertie et progressiste, dans l’esprit du temps :
« J’ai changé rapidement et de manière colossale pour devenir joyeusement ce que l’on appelait alors une fan de jazz. Car c’était à peu près à ce moment-là que le jazz s’est développé dans les années vingt. Je me suis coupé les cheveux, au grand dam de mes  parents qui étaient des paysans et des partisans de l’ordre établi. »

C’est en 1924 qu’Astrid Ericsson, qui n’avait pas encore dix-sept ans, s’est révoltée d’une manière qui a fait sensation à Vimmerby. Il y avait un cinéma, un théâtre, une librairie chrétienne et la troupe de danse populaire les « Smalänganningarne », mais si l’on était une jeune femme qui adorait la danse, on avait envie de danser au son de la musique de son temps. En été, il y avait des bals en plein air et, en hiver, on pouvait aller au Stadhotell, où, le samedi, il y avait des « soirées dansantes ».

 

Astrid lindgren, une Fifi Brindacier dans le siècle, de Jens Andersen, traduit du danois et du suédois par Alain Gnaedig. Éditions Gaïa.

9782847208887

 

Posté par jeanlau à 17:32 - - Commentaires [2] - Permalien [#]

09 mars 2023

Elle avait les yeux verts

Elle avait les yeux verts
d’Arnost Lustig

Hanka est emprisonnée avec des milliers de prisonniers au camp d’Auschwitz. C’est une jeune fille rousse aux yeux verts, une magnifique femme-enfant de 14/15 ans. Elle a vu disparaître toute sa famille. Elle est comme tous les êtres humains vivants à Auschwitz à la merci des abominations nazis. Pages 91/92. Un jour, on avait pris une cinquantaine de filles au bloc 18 pour nettoyer le crématoire II sous les ordres des SS. Fine s’était retrouvée dans une espèce de garage en sous-sol, éclairé par trois ampoules fixées aux poutres du plafond dans des cages de fer. Sur les murs, où le béton était fissuré, il y avait des taches brunâtres. Des taches aussi au sol. Jusqu’au plafond. Personne n’avait dit que c’était du sang. Tout d’abord elles avaient été contentes, ou plutôt rassurées d’être là dans une salle de douches. La porte avec son judas en verre laiteux, tellement épais qu’on aurait dit là aussi du béton, était restée tout le temps ouverte. Elles n’avaient donc pas remarqué s’il y avait ou non une poignée à l’intérieur, mais la poignée extérieure était en acier, avec une serrure et un moraillon de fer. Elles étaient dans une chambre à gaz. Elles lavaient par terre dans une chambre à gaz. Fine voyait le béton foulé par les pieds nus des enfants, des femmes et des hommes, vieux et jeunes, tous ensemble.

Pour survivre, elle doit devenir prostituée dans le camp, sinon sa mort sera certaine. Pendant quelques semaines avant la libération d’Auschwitz, elle devient l’esclave sexuelle des soldats, des gradés. On l’appelle alors, Fine. Pages 373/374. Je vois Fine qui, lors de sa première passe, se fait l’effet d’un morceau de viande rose à l’étal du boucher. Douze fois par jour, je regarde avec elle les clients franchir le seuil. Les visages, les corps. Les bottes. Les pantalons. Les chaussettes russes. Tous les jours sauf le dimanche et, parfois, le dimanche aussi. Je m’imagine Cricri et Gros-Ventre. L’Asperge qui aurait craché sur le sexe d’un soldat en disant : « Tu peux disposer. » Le mur nord de la propriété. Le portail avec son aigle impériale en tôle. Les corbeaux qui se découpent sur le fond blanc de la plaine. La liberté qui n’appartient qu’aux oiseaux, aux rats et aux loups. Les brouillards argentés, la rivière prise dans les glaces.

Quelques mois après la fin de la guerre, elle rencontre Adler qui lui donnera la force d’avancer, de survivre. Avec lui, elle peut raconter, même si cela ne la délivrera jamais. Ils passeront leur vie ensemble. Page 144. Mon chemin croisa celui de Hanka kaudersava, dite Fine, à Prague, trois mois après la fin de la guerre. C’était en pleine canicule d’août. Jours étouffants, ponctués de brefs orages. L’attrait que je lui trouvais aurait sans doute eu, chez toute autre, l’effet inverse. Je devinai de prime abord qu’elle savait quelque chose dont elle ne voulait pas parler, quelque chose dont pour ma part, j’aurais peut-être intérêt à ne pas me mêler. Plus je me montrais curieux, plus elle était réservée.

Mais ce n’est pas si simple, les traumatismes subis pendant la guerre la poursuivent jusque dans son sommeil. Comme pour chaque personne ayant subie des horreurs ! Page 374.  Deux mois après la guerre, Hanka kaudersova rêva qu’elle rendait visite au capitaine Daniel August Hentschel. Il était descendu à Prague, au Grand Hôtel Evropa, garant sa Horch noire blindée sous les tilleuls de la  place Venceslas. Il avait laissé quelques bricoles pour elle sur une chaise. Penchée par-dessus la table, elle tendait le bras vers ces cadeaux lorsque le gérant de l’hôtel, en souliers à glands et uniforme vert aux boutons en os, s’approchait par-derrière, lui collait le canon d’un pistolet sur la tempe et tirait. Elle s’effondrait. Le coup lui avait fait sauter la cervelle, mais elle vivait encore. C’est alors que son officier rentrait. Le gérant la traitait de voleuse. L’officier confirmait que les objets étaient bien des cadeaux pour elle. Le gérant haussait les épaules et se lançait avec l’officier dans des conjonctures sur la partie de son cerveau qui avait été endommagée. Il s’agissait apparemment des centres de la motricité. Fine était choquée par le peu d’intérêt que l’un et l’autre lui témoignaient.

Arnost Lustig écrit un roman poignant, qui retrace l’incroyable cruauté humaine et aussi tout ce que la nature humaine peut mettre en œuvre pour survivre ! Quel courage ! Quelle force il a fallu à tous ces enfants, femmes, hommes, quelque soit leur âge, leur nationalité, leur religion, leurs idées…
Son écriture est limpide, elle nous emmène au  plus profond de l’horreur, nous met face à des situations où la seule façon de survivre est la soumission. C’est un très beau livre, un très beau témoignage, touchant et comme tous ces livres traitants de ce sujet frigorifiant !

Claude

 

Première page
1
Des unités de Waffen-SS arrivaient depuis tôt le matin. Face à l’afflût, elles se virent imposer des heures supplémentaires, jusqu’à la tombée du jour.

Quinze : Hermann, Hammer, Fritz Blücher, Reinhold Wuppertal, Siegfried Fuchs, Bert Lippert, Hugo Redinger, Ulrich Liebel, Alwin Graff, Siegmund Schwerstein, Herbert Gmund, Hans Frische, Arnold Frey, Philipp Petsch, Mathias Krebs, Ernst Lindow.

Le mur d’enceinte se coiffa pendant la nuit d’une crête de neige pareille à une toque de cuisinier étirée vers l’arrière. À l’aube, sous un ciel balayé par les dernières bourrasques de la tempête, on aurait dit qu’il avait neigé du sang. Le sol baigna quelques minutes dans une débauche de pourpre et de rubis. Un silence impalpable reposait sur le pays.

Elle avait les yeux verts, de Arnost Lustig, traduit du tchèque par Érika Abrams. Éditions Galaade.

 

elle avait les yeux verts

 

Posté par jeanlau à 18:50 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
08 mars 2023

Les abeilles d'hiver

Les abeilles d’hiver
de Norbert Scheuer

Égidius Armimond était professeur de latin et d’histoire avant que les allemands ne le révoque. En effet, il est épileptique. C’est seulement grâce à son frère aviateur dans l’armée que les nazis le tolère. Mais la menace est là. Il dépend entièrement de son frère pour les médicaments, tant qu’il ne fait pas de crise, cela se passe assez bien, mais dans le cas contraire il ne sait pas ce que seraient les réactions. S’il ne reçoit pas les médicaments, il doit les acheter. Aussi, il est peut-être libre, mais inquiet.

Nous sommes en Allemagne à la frontière belge, en janvier 1944, cet hiver est froid. Égidius observe et soigne ses abeilles d’hiver, ce sont elles qui feront que les abeilles de printemps naîtront et feront de belles récoltes. Il les bichonne, les observe, les nourrit, les soigne, prépare le printemps… Page 25.
Dimanche 9 janvier 1944. Avec l’hiver, exceptionnellement, je dois travailler  plus que mes abeilles ; pendant les périodes de gel, elles se consacrent uniquement à leur survie, ce qui veut dire en premier lieu à survivre au froid. Leur colonie est comme un organisme qui inspire au printemps, expire en été et se repose en automne et en hiver.
Il tient son journal, et à travers lui, ce n’est pas seulement sa vie que l’on découvre mais aussi celle du village et de la guerre. Il passe également beaucoup de temps à la bibliothèque à traduire des textes latins sur la vie d’un de ses ancêtres, Ambrosius Arimond, un bénédictin. Mais pas seulement, dans un livre jamais utilisé, il arrive qu’on lui adresse des messages. Page 27. Dans la bibliothèque, je m’assure toujours qu’il n’y a aucun message pour moi. Je ne peux en aucun cas déroger à cette règle. Les messages clandestins sont dissimulés dans un des volumes reliés en cuir de vache qui liste la quantité de minerai de plomb extrait et les salaires des ouvriers dans les années 1850-1888 ; personne ne s’intéresse à ces colonnes de chiffres insignifiantes.
Après mon travail à la bibliothèque, je me rends à l’auberge du barrage, que ma cousine Sanny gère seule actuellement. Son mari, Vallentin, a été enrôlé dans la Wehrmacht il y a trois ans et combat maintenant à l’Est. Sanny est très inquiète, elle n’a pas de nouvelles de Vallentin. Ils étaient mariés depuis un an quand il a été appelé. Elle est la seule à savoir que je me fais un peu d’argent en emmenant des Juifs à la frontière belge. Je demande deux cents reichsmarks par personne pour le transport – l’argent vient toujours en premier, et la vertu après – mais j’ai besoin de beaucoup d’argent pour mes médicaments antiélpileptiques ; depuis la guerre, il n’y a presque plus de médicaments, surtout pour quelqu’un comme moi qui, pour la Volksgemeinschaft (Communauté populaire), n’a aucune valeur et qui, d’après l’idéologie du régime, est un parasite qui devrait être supprimé.

Il part alors, avec des ruches un peu spéciales sur un rucher près de la frontière belge. Page 156. Je peux travailler en toute tranquillité aux cachettes destinées au transport des fugitifs et ne risque pas que quelqu’un passe me voir. J’ai fabriqué moi-même quatre caisses empilables, qui sont nettement plus larges et plus hautes que les ruches standard avec les colonies, je les ai mises sur une estrade, de sorte que la différence entre les fausses ruches et les vraies ne se remarque pas. Un adulte peut facilement se glisser dans une des ces fausses ruches.
Il rend également visite à certaines femmes dont les maris sont partis à la guerre. Page 77. Mercredi 9 février 1944. J’ai encore passé la nuit dernière avec Maria. Elle pleurait parce qu’elle avait mauvaise conscience. Pendant que nous nous donnions du plaisir, nous seuls existions ; dans ces moments-là, nous pouvons nous oublier, nous ne sommes plus que des corps qui s’aiment, sans passé ni futur, limités à ce qu’ils font, en dehors du temps et de l’espace, c’est peut-être déjà assez de bonheur en soi. Mais après, elle se fait les pires reproches et est tellement désespérée qu’il m’est impossible de la consoler ; mais je ne peux consoler personne, même pas moi-même. C’est peut-être pour cela que j’ai évité nos rencontres ces derniers temps.

Quel beau roman, poétique, captivant, dramatique mais avec des touches assez drôles. L’écriture de Norbert Scheuer est intense et rythmée. Il nous fait entrer dans la vie d’Égidius par le biais de son journal personnel, et alterne de temps en temps avec ses traductions latines sur son ancêtre bénédictin.
C’est un beau texte qui retrace la vie d’un héro tel qu’il y en avait, un héros discret, un héros ordinaire de janvier 1944 au printemps 1945.

Claude

 

Première page

JOURNAL 1944-1945
ÉGIDIUS ARIMOND
Feuille non datée

Il n’y a pas de représentation de la réalité dans son ensemble. Juste une sélection. PÄR LAGERKVIST

Je vis dans une petite ville minière, située sur une rivière qui serpente à travers des paysages déserts et accidentés, une région avec de petits villages au milieu de prairies maigres, de forêts d’épicéas, de pins et de hêtres qui s’étendent jusqu’à la frontière belge. Cette région, depuis toujours région désertique et pauvre, est née de l’érosion de la chaîne des montagnes Varisques, dont les crêtes d’origine volcanique dominent le paysage vallonné, avec une végétation luxuriante que les abeilles semblent beaucoup aimer, car elles vivent ici depuis des millions d’années, bien avant que des hommes ne s’établissent dans l’Urftland. Des siècles plus tard, des moines ont christianisé les tribus celtes et germaniques qui n’en ont pas moins continué à vénérer leurs matrones, leurs esprits de la forêt et de la terre. Un de nos ancêtres était, aux dires de père, un de ces moines bénédictin nommé Ambrosius, qui vivait dans le monastère non loin de là et élevait des abeilles. À cause de d’une histoire d’amour avec une paysanne, cet Ambrosius a quitté son monastère en 1492 et fondé une famille dans un des petits villages en altitude.

Les abeilles d’hiver de Norbert Scheuer, traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger. Éditions Actes Sud.

 

les abeilles d'hiver

 

 

Posté par jeanlau à 17:52 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
26 février 2023

Allemagne Conte Obscène

Allemagne conte obscène
de Victor Pavlov

Tout d’abord, je souhaite remercier sincèrement Marie-Vrinat Nikolov qui m’a offert ce livre avant Noël. J’adore cet auteur et elle le sait. Je l’ai lu tout de suite, mais j’ai un peu de retard dans la publication de mon billet. Après avoir reçu le livre, je me disais qu’il me disait quelque chose, en fait, il y a des années et des années, j’avais lu « Contes Cruels » qui en est la première traduction.

Pour ma part, je trouve que « Contes Obscènes » est plus fidèle à l’histoire, au ton du livre, à la gravité tout comme à l’humour grinçant présents dans ce livre.

« Allemagne Obscène », quel meilleur titre pour ce que attend ce jeune Viktor en Allemagne de l’Est.

Je ne m’attarderai pas sur l’histoire, vous pourrez la lire un peu partout sur le net ou les journaux spécialisés. Je ferai toutefois un petit résumé succinct. Un musicien fait venir son fils indiscipliné en Allemagne de l’Est, il doit quitter tous ses meilleurs amis condamnés à un non avenir. Ses rêves d’écrivain plein la tête, ses rêves d’Allemagne en tant qu’« Eldorado », il prend le train, pour trouver son avenir…

Je souhaite m’arrêter sur l’écriture de Pavlov, car ce livre est à la fois d’une gravité absolue sur ce qui était la vie pour les émigrés en RDA à la fin des années 1950, tout en étant drôle, poétique, et sombre. Ses phrases courtes et incisives rendent tout à fait ces différents genres. C’est là tout le talent de Pavlov.

Si vous aviez aimé « Ballade pour Georg Heinig », lisez Allemagne Conte Obscène. Vous retrouverez un Victor plus âgé, dans un monde bien ravagé !

Extrait de la postface de Marie-Vrinat Nikolov (page 344) : L’enfant narrateur a bien grandi. Son violon a cédé sa place à une guitare électrique, Bach aux Beatles et Haendel à Jimmy Hendrix. Le héro se rebelle contre le manque de liberté, la répression du Printemps de Prague, à l’image de Victor Paskov dont les poèmes du temps de sa jeunesse témoignent  d’une révolte et d’une fureur qui éclatent dans ce deuxième roman. Mais surtout, le narrateur Viktor, comme son auteur, Victor, ont en commun une expérience traumatisante et déterminante : celle de l’exil.

Pour l’auteur et son double, le premier départ est pour l’ex-RDA.

Claude

 

Extraits (comme on parle le mieux des livres…).

Page 46 : Le contrat arriva trois semaines plus tard. Mon père était un héros. Nous avions un héros à la maison et nous le bichonnions. Il n’y avait plus de scènes de ménage. Le héros allait assurer notre avenir, nous tirer de ce bouge, en Allemagne on le logerait dans… à ce moment-là, nos rêves nous faisaient tous fondre à la pensée du palace ou les mécènes de RDA l’installeraient.
Je me jetai la tête la première dans l’allemand, je jouais avec l’allemand ! Heimann avait promis que le théâtre aiderait Monsieur Paskov junior à s’inscrire à l’université de Dresde en études germaniques.

Lorsqu’un Allemand promet quelque chose, c’est aussi sûr qu’un « amen » à l’église, que la lune dans le ciel, aussi sûr que le fait de rester à Sofia signifiait pour moi de finir dans le caniveau.

Page 98.  Les mots « artistes » ou « musiciens » étaient des mots obscènes en RDA.

L’ouvrier, l’artisan, le policier, l’instituteur – tous nourrissaient une haine mortelle à l’égard de l’artiste.

Être artiste n’était pas une profession. C’était un diagnostic. L’artiste avait un salaire de misère. Sa vie était anormale. Son temps de travail était anormal. L’artiste était source de ragots et de scandales qui étaient alimentés artificiellement par ses gardiens. Ce n’était pas un facteur fiable. Un fou à la cour du roi.
Comme tous les fous du roi, il était sous surveillance. On créait pour lui des services et des bureaux spéciaux, des mécanismes complexes. Il avait un statut particulier.
L’artiste devait se sentir constamment coupable – parce que son travail était  immatériel, et jurer d’être loyal – parce qu’il était entretenu par l’État.

Dans le même temps, il devait traîner sur son dos la responsabilité de la santé idéologique du peuple. L’artiste était Celui qui recevait des claques à cause des erreurs d’autrui.

Aucun Allemand ne voulait être artiste en RDA. Les musiciens étaient une denrée déficitaire.

 

Page 146. Inutile de préciser que Heimann était l’agent de la STASI au théâtre. La STASI était partout – cela, tout le monde le sait maintenant. La STASI ne faisait même pas d’effort pour se cacher. Ceux qui se cachaient, c’étaient les informateurs mais, quelle que soit la manière dont ils se dissimulaient, la minorité qui n’était pas au service de la STASI les reconnaissait. (…)
En me nommant, Heimann lui avait donné une pichenette sur le nez – pour qu’il ne se donne pas de grands airs, ce chef des machinistes ! Qu’il n’aille pas s’imaginer qu’il pouvait construire  un État dans l’État de Heimann.
Georges fut décontenancé quand je rentrai les dix tonnes de charbon. Un rebut de Heimann ne pouvait avoir les qualités de la classe ouvrière. Le fait que mes muscles ne jouent pas sous mon maillot et que je ne sois pas tatoué était une preuve que j’étais particulièrement dangereux. Georges se retrouva dans un Zeitnot. Il lui fallait rapidement découvrir quel genre d’oiseau j’étais s’il voulait rendre son coup à Heimann.

Dès le lendemain, il me força à balayer la scène.
-Pasko, hier, tu m’as joué un mauvais tour, déclara-t-il devant les machinistes au complet. À cause de toi, j’ai perdu un pari. Maintenant, je dois offrir à chacun de mes gens une bière et un schnaps. Mais je ne te déteste pas. Je vois que tu tiens à peine sur tes pieds. Prends l’aspirateur et nettoie la scène. Il est grand, tu peux prendre appui dessus, yeah ?

 

PREMIÈRE PAGE

Aux amis qui sont morts.

 

-Zwanzig !

Gofi se pencha sur la table et refit son numéro : il leva le grand verre de vodka avec ses dents et se le versa dans la gorge, la tête rejetée en arrière. Le verre roula sur sa  poitrine, tomba sur le ciment et se brisa en tout petits morceaux :
-Zzzwwwaaannnzzziiiggg…
-Seigneur !
Il écrasa du talon les morceaux de verre cassés.
-Y a-t-il mot plus répugnant ?
-Zweiundzwanzig, répondis-je.
Il fit une grimace, serra ses oreilles entre ses mains, et réfléchit. Ses cheveux se hérissèrent de dégoût. Une profonde cicatrice cheminait entre l’aile de son nez et le coin de son œil gauche. Tandis que le soir s’assombrissait, elle pâlissait.
Gofi haïssait le mot zwanzig
et à cause de lui, l’allemand. Le seul à apprendre l’allemand, c’était moi. Ils apprenaient tous l’anglais. J’étais le seul à vouloir être écrivain. Ils voulaient tous être Jimmy Hendrix. « Que peut-on attendre de bon d’un peuple qui a inventé le mot en fer-blanc ? » demandait Gofi, perplexe. « Seigneur ! Serait-ce que tu détestes la musique ? »

Allemagne, Contes  Obscènes, de Victor Paskov, traduction et postface de Marie-Vrinat Nikolov. Les Éditions du Typhon. Collection Après la tempête. 

 

Capture d’écran 2023-02-26 184109

 

Posté par jeanlau à 18:44 - - Commentaires [5] - Permalien [#]
01 janvier 2023

2023

Je vous souhaite à toutes et à tous qui me suivez une bonne année, une bonne santé, une année remplie de riches émotions, et surtout ne changez rien ! Vos blogs sont formidables et je me délecte toujours à les lire.

Un petit discours de Jacques Brel trouvé sur le net, pour commencer cette nouvelle année.

Claude

 

Les vœux de Jacques Brel en 1968 sur Europe 1 (si je ne me trompe pas)

« Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns.

Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier.

Je vous souhaite des passions, je vous souhaite des silences.

Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants.

Je vous souhaite de respecter les différences des autres, parce que le mérite et la valeur de chacun sont souvent à découvrir.

Je vous souhaite de résister à l’enlisement, l’indifférence et aux vertus négativés de notre époque.

Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille.

Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable. »

Jacques Brel

 

Posté par jeanlau à 17:39 - - Commentaires [6] - Permalien [#]

31 décembre 2022

La laveuse de mort

La laveuse de mort
de Sara Omar

Autant vous le dire tout de suite, ce livre est glaçant, d’une violence inouïe et je crois que tout le monde devrait le lire !

Je ne sais comment en parler tant est incompréhensible pour moi la violence faite aux femmes, je ne suis pas naïve, mais ce livre m’a fait pleurer. Il est pour moi un nouvel exemple de la bêtise humaine, de sa cruauté, de son besoin de puissance au nom d’une religion mal interprétée, ou devrais-je dire d’un texte d’une religion mal interprété ! Je crois qu’ici, je peux parler de toutes les religions du MONDE.

Nous suivons dans ce livre Frmesk à deux périodes de sa vie, la première à partir de sa naissance jusqu’à environ ses 5/6 ans, puis lorsqu’elle est arrivée au Danemark.

La faute de Frmesk est de naître fille, d’ailleurs son prénom signifie « larme ». Page 45.
- C’est vrai ? s’écria Anwar. Une fille ? J’ai donc attendu cinq ans que cette femme tombe à nouveau enceinte, tout ça pour avoir une fille ?
- Une progéniture de femme indigne, murmura Tofiq.
Gawhar ferma les doigts sur un pan de sa robe et serra.
Rubar était incapable de regarder les hommes. Elle concentra son attention sur les yeux de son bébé et laissa son esprit vagabonder d’un enfer à un autre. Frmesk fixait sa mère de ses yeux sombres d’une telle profondeur qu’ils pourraient eux-mêmes causer sa perte.

En plus, l’enfant est née sans cheveux avec juste un duvet blanc.
Sa grand-mère maternelle est laveuse de mort, c’est elle qui lave toutes les femmes, les enfants assassinés, dont personne ne veut se salir les mains.
Son grand-père, un mécréant aux yeux de tous, a une bibliothèque extraordinaire. Il lit, il ne se contente pas de lire une seule religion mais les religions du monde. Il est ancien militaire.
Ces deux personnes s’aiment, et on ne rencontre que peu de personnes qui s’aiment dans ce livre, ils arriveront chacun à leur manière à protéger leur petite fille de la violence de son père, et de ce monde. Il y a beaucoup de tendresse et de douceur dans les relations de Frmesk avec son grand-père.

Rubar, sa mère a peur que son mari ne tue Frmesk, il parle en effet de l’enterrer vivante. Elle la confie à ses parents, ce qui la protègera pendant un temps.

Elle grandit dans cet amour, et parallèlement, nous voyons vivre ses grands-parents, la guerre, la haine de l’humain au nom de la religion contre la femme. La femme qui n’est qu’un objet sexuel, qui ne devrait que les nourrir et engendrer des fils. Les femmes promises dès leur plus jeune âge, femmes trop belles que l’on tue car elles doivent avoir des amants, des femmes qui n’ont pas saigné pendant leur nuit de noce… Toutes ces femmes Gawar les nettoie, prie pour elle, s’en occupe avec amour, et son mari va ensuite les enterrer.

Ce qui d’autant plus sidérant dans ce livre, c’est que l’on rencontre autant de haine, de cruauté, d’envie de meurtres chez la moitié des femmes. Plutôt que de soutenir…

Frmesk sera protégée mais jusqu’à un certain point car le mal ne vient pas toujours d’où l’on croit.

S’intercalent entre les chapitres d’enfance ceux où Frmesk est adulte, à l’hôpital au Danemark où elle s’est réfugiée, où elle subit opération sur opération… Frmesk dont les nuits sont remplies de cauchemars.

Je ne comprends pas, ne comprendrai jamais religion ou pas religion comment on peut faire du mal à ses semblables, parce qu’ils sont enfants non désirés, handicapés, femmes… que ce soit ici ou ailleurs. Ce livre est extrêmement courageux ! Il ne peut laisser indifférent, c’est le premier d’une trilogie. Quand le premier tome est sorti en 2017 au Danemark, il a valu à Sara Omar des menaces de mort.

Il y a peu d’extraits de ce magnifique texte, j’ai fait le billet il y a un moment, et entre temps, j’ai égaré, ou jeté… mes petits papiers où les extraits étaient notés !!! et oui, quand on n’a pas de tête…

Claude

 

Première page
10 AOÛT 2016

HÔPITAL DE SKEJBY, DANEMARK

Khada sort en courant de la maison. Sa robe est tâchée de sang. Son père est sur ses talons. Il est fou de rage et hurle que la honte vient de s’abattre sur sa famille. « Mon honneur a été bafoué ! Notre famille est en ruine, comme les maisons qui nous entourent. » khanda crie d’une voix rauque. Elle a simplement voulu essayer le vélo, et le sang s’est mis à couler. Elle a peur. Elle voudrait seulement qu’on la rassure. Elle a peur du sang qui a jailli d’elle, si soudainement. Semblable à de l’urine rouge et épaisse. Peur de son père, qui est devenu fou furieux dès l’instant où il l’a vue.

Il l’empoigne par les cheveux et la renverse sur la route gravillonnée. Un attroupement commence à se former. « Elle faisait juste du vélo, crie une voix aiguë derrière eux. Épargne notre fille. Épargne-la, mon mari. Notre petite vie. » le père frappe violemment la fille et la tire à lui. « Je ne peux pas vivre avec une fille souillée ! » hurle-t-il en sortant un couteau de sa ceinture. « Allahu akbar ! Allah est grand ! » cirent les voix autrou d’eux. La chaleur est étouffante. Les pantalons bouffants des hommes leur collent à la peu. Les tchadors noirs à mailles serrées des femmes sont nimbés de vapeur.

La laveuse de mort de Sara Omar, traduit du danois par Macha Dathi. Éditions ACTES SUD.

laveuse

 

Posté par jeanlau à 17:27 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
06 novembre 2022

Le pays des sapins pointus

Le pays des sapins pointus
de Sarah Orne Jewett

J’ai lu ce livre deux fois, une fois au printemps, il m’avait enchanté mais j’étais tellement fatiguée que j’avais eu le sentiment de pas en avoir profité autant qu’il le méritait ! Aussi, je l’ai repris, relu, et la magie de la plume de Sarah Orne Jewett a opéré deux fois plus… Que de bonheurs !

Il a été écrit à la fin des années 1890. C’est le seul livre traduit en français de l’auteure.
Andréas Lemaire de la librairie Myriagine à Anger, en a fait la préface, et il écrit (je n’aime pas reprendre les mots des autres, mais je trouve cela si juste et si bien écrit que je me le permets exceptionnellement.) : « Terre de fiction bien arrimée à la falaise du réel, identifiable autant par ses embruns que par les qualités de l=sa lumière, la richesse de sa flore ou la compacité de ses chemins, Dunnet Landing advient et prend corps si naturellement sous nos yeux que l’on jurerait très vite y avoir séjourné de longs mois au côtés de ses habitants. Sarah Orne Jewett a l’art et la manière de faire exister les lieux et les gens qui y vivent. Sous la plume délicate, précise et élégante, le temps est étiré, alenti, la chaleur des êtres, le drame parfois niché au creux de leur existence comme une concrétion rocheuse dans les herbes hautes, n’en finit pas de toucher, de s’infiltrer en nous… »

Que dire de plus ! La qualité de l’écriture de cette femme est si délicate, précise, (on a l’impression de la voir écrire, lever sa plume et penser au mot qu’elle écrira plutôt qu’un autre), si drôle aussi. De faits anodins de la vie, elle arrive à nous donner l’impression d’être derrière la fenêtre, ou cacher derrière un arbre, de sentir le vent, d’entre la voile des bateaux… d’être là avec elle. Je dis également un grand bravo à Cécile Roudeau pour sa traduction, ses annotations et sa postface.
À son origine le livre est sorti en nouvelles dans les journaux.

 

Pour en venir à l’histoire, elle se déroule dans un village imaginaire du Maine, je suis sûre toutefois que vous en reconnaîtrez un (pour ma part j’ai vécu les 10 premières années de ma vie dans un petit village qui pouvait très bien être celui-ci !). L’auteure a déjà séjourné brièvement à Donnet Landing, et elle y revient pour les mois d’été, elle doit écrire des articles. Elle loge chez Mme Todd, une veuve, guérisseuse, au caractère bien trempé. Cette dernière connaît sur le bout des doigts, la flore, fabrique des remèdes, et est en quelque sorte, celle qu’on va voir avant le médecin. Pages 126-127. Nous venions tout juste de dépasser un petit bois qui ombrageait la route et nous nous trouvions désormais en vue de grands champs bien dégagés quand Mrs. Todd soudain serra la b ride, comme s’il y avait eu quelqu’un au bord de la route qui l’eût arrêtée. Elle fit même de la tête ce petit signe rassurant avec lequel elle avait coutume de répondre à une salutation ; mais je m’aperçus qu’elle avait les yeux rivés sur un grand frêne qui poussait juste à l’intérieur de l’enclos.
« Je savais qu’il allait finir par bien tourner, fit-elle non sans un brin d’orgueil tandis que nous reprenions la route. Vous auriez dû le voir, la dernière fois que je suis monté ici, comme il courbait l’échine ; on aurait dit qu’il était découragé. Ça leur arrive aux arbres, parfois, aux arbres adultes : ils sont pas différents des gens après tout. Et pi’ un jour ils se ressaisissent, ils lancent leurs racines à la recherche de nouveaux filons et ils recommencent tout depuis le début, avec le cran qu’il faut pour le faire. Les frênes ont tendance à avoir des mauvaises passes, comme ça ; ils ont pas la même détermination que d’autres arbres. »
Je lui prêtais une oreille attentive, dans l’espoir d’en entendre un peu plus ; c’était cette sagesse si particulière dont elle seule avait le secret, qui rendait la compagnie de Mrs. Todd si précieuse et agréable.

Au fil des pages, elle nous fait découvrir des personnages pittoresques, extraordinaires, des personnages du quotidien, que beaucoup aujourd’hui ont désappris à relever, à apprécier. Elle nous présente donc, la mère de Mme Todd, son frère, son amoureuse, les villageois qui viennent toquer à la porte pour un onguent ou poudre qui les soulagera. Bon, au bout d’un moment l’auteure qui n’arrive pas à dire non à Mme Todd, et qui sait que c’est la pleine saison pour les récoltes d’herbes, se décide à se trouver un endroit pour écrire tranquillement, car bien souvent, elle doit rester à la maison, pour les « clients, patients » qui viennent récupérer leur médicament. Au fil de ses balades, elle trouve l’école qui est inoccupée pendant l’été, ouverte aux vents, aussi décide-t-elle de demander la permission pour s’y installer une demi-journée par jour pour y écrire. Dans cet endroit, qui paraît magique, où elle entend la mer, elle écrit en paix, mais pas seulement, elle y reçoit des visites !

Des gens simples, des paysages magnifiques, retranscrit avec tant de justesse, comme on en croise peu aujourd’hui, ce livre écrit en 1895 est d’une richesse inouïe, et offre un plaisir de lecture incommensurable ! Page 291. Ce fut une journée d’attente, cette journée de printemps ; il y avait dans le ciel de mai autant d’espoir que dans nos cœurs aimants, et l’herbe sous nos yeux verdirait d’heure en heure. L’air était doux et plein d’oiseaux, et la mer avait pris des reflets rougeoyants, abandonnant l’éclat glacé de froidure hivernale qui avait persisté jusque tard dans l’année. Le visage de Mrs. Todd avait une expression que je ne lui connaissais pas et que jamais plus je ne lui revis. Elle était de la plus belle humeur. Il était tôt ; je sortis faire un tour et lorsque je revins, nous nous installâmes séparément, chacune dans sa pièce et n’en bougeâmes presque plus. L’air avait quelque chose d’électrique et, lors de la seule conversation que nous eûmes, Mrs. Todd adopta sa manière la plus abrupte, la plus incisive. Elle tricotait, e crois ; quant à moi, je pris un livre pou m’occuper. Je l’entendais qui faisait les cent pas et, la porte étant désormais grande ouverte, elle sortit et se mit à arpenter l’allée centrale jusqu’au petit portail, comme si c’eût été un ponton.
Il y a quelque chose de très solennel à rester là, assis, dans l’attente des grands événements de la vie – nous l’avons fait, la plupart d’entre nous, à maintes reprises ; guetter la vie ou bien la mort procure le même sentiment.

 

Comme il a été difficile de le quitter !
Claude

Première page
Il y avait un je-ne-sais-quoi, dans la petite ville côtière de Dunnet, qui la rendait plus attirante que d’autres villages de la côte est du Maine. Peut-être était-ce le simple fait de l’avoir déjà fréquenté et connu qui rendait ce coin si attachant, qui suscitait un tel intérêt pour ces bois sombre et ce rivage rocheux, pour les quelques maisons qui entouraient le débarcadère et semblaient solidement arrimées, voir chevillées aux récifs. Ces maisons tiraient le meilleur parti possible de la vue qu’elles avaient sur la mer et il y avait dans leurs petits bouts de jardin quelque chose de joyeux et de résolument fleuri ; leurs fenêtres à petits carreaux, perchées au sommet de pignons aigus, ressemblaient à des yeux avertis qui scrutaient le port, puis, au loin, la ligne d’horizon, à moins que, tournés vers le nord, ils ne contemplent le rivage qui serpentait sur fond d’épicéas et de sapins baumiers. Entrer dans l’intimité d’un village comme celui-ci et de ses alentours, c’est comme faire la connaissance d’une seule et même personne. Le coup de foudre, dans ce cas, est aussi irrévocable qu’il est soudain ; mais pour que puisse s’épanouir une amitié véritable, il faut parfois toute une vie.
Après une première visite, assez brève, qu’elle avait rendue à Duneet Landing deux ou trois étés auparavant, à l’occasion d’une croisière, une amoureuse de ces lieux y retourna pour trouver le rivage des sapins pointus inchangé : le village et son cortège de conventions minutieusement établies avait conservé son charme vieillot et elle retrouva là tout ce dont ses rêves lui avaient tendrement parlé – ce mélange d’isolement et de certitude enfantine d’être au centre de la civilisation. Un soir de juin, une unique passagère accosta au quai des bateaux à vapeur. La marée était haute ; une belle foule s’était rassemblée sur le quai et les plus jeunes parmi les badauds la suivirent, tout vibrant d’excitation contenue, comme elle grimpait la rue étroite de cette petite ville de bardeaux blancs et d’air salé.

Le pays des sapins pointus, de Sarah Orne Jewett, traduit par Cécile Roudeau, préface d’Andréas Lemaire. Notes et postface Cécile Roudeau. Éditions RUED’ULM.

 

 

Capture d’écran 2022-11-06 160950

Posté par jeanlau à 16:12 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
30 octobre 2022

Je viens de me rendre compte que mon blog à 15 ans, c’est bien !

Je ne suis pas trop présente depuis quelques temps, je crois que j’ai trop de travail… et je peine à faire mes billets. En ce moment, je suis en train de relire les livres que j’ai lu au printemps dernier, car j’étais hyper fatiguée et j’avais l’impression de passer à côté de lectures merveilleuses, à qui je n’accordais pas suffisamment de temps et de « délectation » ;o)

Je vous dis à tout bientôt, je ne suis pas loin…

Claude  

Posté par jeanlau à 14:39 - - Commentaires [3] - Permalien [#]
01 septembre 2022

Automne

Juste comme cela… je me suis réveillée ce matin avec cette comptine dans la tête, toute la journée en travaillant, j’ai essayé de recoller les morceaux !!! Et, cet après-midi en revenant de la médiathèque pour le travail, il y a une grande feuille qui est tombée à mes pieds. Donc, pas le choix, il fallait que je retrouve les paroles !!! Jacqueline Debatte a écrit les paroles, et la mélodie est de Francine Cockenpot. Elle a été créée pour les scouts, en 1942/1943. Et oui… ce doit être la rentrée scolaire qui me fait cet effet !!! Maintenant je  peux chanter à tue-tête !!!

Claude

Automne
paroles de Jacqueline Debatte,
mélodie de Francine Cockenpot

 

Colchiques dans les prés
Fleurissent, fleurissent
Colchiques dans les prés
C’est la fin de l’été
La feuille d’automne emportée par le vent
En ronde monotone tombe en tourbillonnant.
Châtaignes dans les bois, se fendent, se fendent,
Châtaignes dans les bois, se fendent sous nos pas
La feuille d’automne emportée par le vent
En ronde monotone tombe en tourbillonnant
Nuages dans le ciel, s’étirent, s’étirent
Nuages dans le ciel s’étirent comme une aile
La feuille d’automne emportée par le vent
En ronde monotone, tombe en tourbillonnant
Et ce chant dans mon cœur, murmure, murmure
Et ce chant dans mon cœur appelle le bonheur

 

 

 

Posté par jeanlau à 17:42 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
30 août 2022

L'arbre de la colère

L’arbre de colère
de Guillaume Aubin

Je ne sais pas pourquoi, j’ai été étonnée en lisant ce magnifique roman qu’il ait été écrit par un homme. Pourquoi ? Je ne peux même pas vous l’expliquer !!!! En tout cas, l’écriture, la recherche du détail, les observations de la nature (nature et humaine), le ressenti que j’ai pu avoir me font vous dire que ce premier roman est sublime.

Les Yeux Rouges, une tribu amérindienne part une fois par an sur l’île Esprit ramasser le qaa qu’ils troquent aux étrangers. S’ils veulent de bonnes récoltes, ils doivent fournir aux graines un terrain fertile : de la chair animale ou humaine. Page 19. Le Chamane pose son tambour une première fois. Deux guerriers prennent une femme par les épaules et l’amènent sur la dalle noire. Le Chef ramasse un fruit de qaa et le montre au ciel qui tombe. Puis s’adresse à la femme : Je te donne la mort, et tu donneras la vie. Il se met le fruit dans la bouche. Se sert de ses deux mains pour forcer les mâchoires de la femme, et comme un baiser, lui dépose le quaa sur la langue. Il referme. Elle se débat, veut cracher, mais ils lui tiennent le visage. Au bout de quelques minutes, noyées dans sa salive, elle avale. Le fruit est dans son hôte. Des larmes coulent de ses joues. Elle accepte sans peine les deux autres qaa.

Une année, avant d’atteindre l’île Esprit, ils attaquent un village de Longues Tresses. Les hommes étant partis à la chasse, ils massacrent les vieillards et les enfants, violent les femmes et les abandonnent sur l’île. Elles y mourront après avoir été contraintes à avaler les graines de qaa. Quelques jours après leur retour, le chamane va vérifier leur mort, mais, cette année une chose incroyable se produit. Elles sont en effet toutes mortes, mais le ventre de l’une d’elle bouge. La femme est certes morte, mais pas l’enfant qu’elle portait. Il décide alors de le sauver. C’est une petite fille. Elle est confiée à une célibataire, et le chef la prend sous sa protection.

Elle a une enfance libre, pas d’obligation comme les autres enfants, elle fait tout ce qu’elle veut. Elle joue avec les garçons, et surtout, elle apprend à observer la nature, à comprendre la vie par elle. Elle aime suivre les hommes quand ils partent à la chasse, le jour où elle est surprise, le chef décide de lui apprendre tout de la pêche, de la chasse, tout ce qu’un guerrier doit savoir. Page 112. Alors, le premier jour, quand j’ai compris que le Chef m’emmenait à la chasse, c’était extraordinaire. Peau-Mêlée, tu viens avec nous !  Voilà ce qu’il me dit chaque matin, depuis que nous avons pris la route des rivières. Ce n’est pas une proposition, c’est un ordre : je vais avec eux, avec Feuille-d’Automne, son père et son gran-père. Malgré la timidité que j’éprouve face à cet homme immense, je n’ai jamais été aussi heureuse. Il m’emmène partout où ils vont.

Page 117. Tout cela, je l’ai appris la première fois que je suis partie aux caribous. Je ne connaissais rien de cette chasse. Je ne voyais que la version des femmes, quand les hommes reviennent et font démonter le camp pour le transférer où les caribous sont restés. Nous les Yeux Rouges nous sommes des nomades. C’est la viande qui nous mène par le bout du nez. Quand on arrive sur place, les femmes ont beaucoup de travail.

Cette grande liberté, elle la doit, à une légende indienne qui dit que la femme rousse est de retour, le chamane est persuadé que c’est elle.

À l’adolescence, lorsque les jeunes passent à l’âge adulte, elle décide d’être reconnue comme un homme et non une femme. Chose tout à fait concevable dans les tribus. Sa vie pourtant basculera, le passé, le présent, le futur formeront une spirale infernale.

 

Ce livre m’a emporté loin, très loin dans la nature humaine, loin de notre société, tout en confirmant que nous sommes le résultat de toutes ces haines, ces jalousies, ces besoins de possessions et de l’Amour.

Grandiose !

Claude

Première page

Les chiens n’aboient pas à moitié. Les chiens ne se trompent pas, ne prennent pas un orignal pour un ours. Encore moins un ours pour un Homme. On les entend dans la forêt à l’aube. À celui qui gueulera le plus fort. Ils vont et viennent, tracent des sentes nerveuses dans l’herbe. Tirent sur leurs cordes jusqu’à s’arracher le poil.

Dans les canots, les pagaies prennent de la vitesse. Vingt-huit mains de bois se font plus fermes sur l’eau, et le calme de la rivière n’arrive plus à couvrir le bruit des rameurs et des corps qui chauffent. Entre les arbres, on aperçoit les premières tentes. Les embarcations accostent les unes après les autres. Les guerriers sautent dès qu’ils ont pied, font bouillonner la rive. Certains courent vers le camp, d’autres grimpent dans les arbres, peau contre écorce, l’arc enfilé autour du cou. Les chiens sont lâchés. Les premières flèches sifflent, d’un c ôté comme de l’autre.

L’arbre de colère de Guillaume Aubin. Éditions la CONTRE ALLÉE, collection LA SENTINELLE.

Capture d’écran 2022-08-30 160503

Posté par jeanlau à 16:08 - - Commentaires [2] - Permalien [#]