Le Dieu des Abeilles
Le Dieu des Abeilles
de Ted Hughes
Lorsque tu as voulu des abeilles jamais je n’aurais imaginé
Que cela veuille dire que ton Père venait de sortir du puits.
J’ai décapé la vieille ruche, tu l’as peinte
En blanc, avec des cours pourpres, des fleurs, des oiseaux bleus.
Ainsi, tu es devenue l’Abesse
D’un couvent d’abeilles.
Mais lorsque tu as mis ta parure royale,
Voile blanc, gants blancs, je n’ai pas deviné qu’il s’agissait d’un mariage.
Ce mois de mai, dans le jardin, cet été-là,
Les châtaigniers brûlants, frémissants, se sont penchés sur nous,
Leurs grandes mains gantées réitérant l’offre
Que je n’ai jamais su comment accepter.
Mais tu t’es penchée au-dessus de tes abeilles
Comme tu te penchais au-dessus de ton Père.
Ta page, un essaim noir
Accroché sous la floraison lumineuse.
Toi et ton Père, là au cœur de l’essaim,
Pesant sur ton cou si fin.
J’ai vu que je t’avais donné quelque chose
Qui t’avait transportée dans un nuage de gutturales –
Le cumulo-nimbus de tes nouvelles identités,
Gardien de ta crinière d’or.
Tu ne voulais pas que j’y aille, mais tes abeilles
Avaient leur propre avis sur la question.
Tu voulais le miel, tu voulais ces grandes floraisons
Coagulées comme le tout premier lait, leur fruit comme un bébé.
Mais les ordres des abeilles étaient géométriques -
Les plans tracés par ton Père, prussiens.
Lorsque la première abeille a touché mes cheveux,
Tu scrutais l’intérieur de l’antre bourdonnant.
Ce valet d’écurie empêtré, convoité, piqué -
qui servait de cible.
Et, comme un lièvre tout juste tiré à la tête,
j’ai été lancé sous les balles sifflantes dorées au soleil
Tandis que les abeilles plantaient leurs volts,
Leurs électrodes vibrantes, dans la cible.
Ton visage a voulu me sauver
De ce qui avait été décidé.
Tu t’es précipitée sur moi, ôtant le voile qui te protégeait du temps,
Les gants qui te protégeaient des fantômes.
Mais alors que je restais là, où je croyais être en sécurité,
Extirpant de mes cheveux
Les abeilles collantes, éviscérées,
Une abeille solitaire, comme une flèche aveugle,
A jailli, s’est posée sur le toit, est redescendue
S’est collée à mon front, appelant à l’aide les autres
Qui sont venues
Fanatique de leur Dieu, le Dieu des Abeilles,
Aussi sourdes à tes supplications que les étoiles fixes
Au fond du puits.
Birthay Letters, de Ted Hughes, traduit de l’anglais par Sylvie Doizelet. Éditions Gallimard.
Le Dieu des Abeilles : page 169/170.
Sylvia Plath est décédée en 1963. Pendant 35 ans, son mari Ted Hughes lui a écrit des lettres-poèmes, quelques mois avant sa mort, il en a publié un recueil. Ces lettres retracent leurs souvenirs, leurs personnalités, leur histoire, leurs années non vécues. Ce livre est rythmé par le souvenir, la nostalgie de leur futur interrompu. Encore un livre vers lequel je reviens régulièrement. J’y pioche une impression, un moment, un bonheur, une image… la poésie.