Ábel dans la forêt profonde, Áron Tamasi
Ábel dans la forêt profonde
de Áron Tamasi,
traduit du hongrois par Agnès Járfás
Ábel a 15 ans, il vit avec sa mère et son père. Un jour, ce dernier rentre du travail, et lui apprend qu’il lui a trouvé du travail. Dès le lendemain, ils se mettent en route, accompagnés de deux poules, un chat et une chèvre. Ábel devra surveiller et vendre un stock de bois appartenant à un groupe de riches propriétaires. Commence alors, sa nouvelle vie, avec ses durs apprentissages : la solitude, les longues soirées, la peur de la nuit, le quotidien qui dépend de lui… Mais, commence aussi, la découverte de la forêt, de ses essences, de ses bruits, de ses silences sans oublier ses découvertes incongrues.
Ábel est un garçon débrouillard, qui a du répondant et du bagou, aussi, il se fait rapidement des amis. Sa vie s’organise, entre son travail, ses animaux à qui il faut ajouter un chien, les affaires marchent très bien (si ce n’est quelques coups malhonnêtes), tout va pour le mieux jusqu’au jour où…
Je ne vous en dirai pas plus !!
Ce livre est magnifique, jovial, les jeux de mots, d’humour sont excellents. Il se savoure, il fait du bien, il est rare. Le style est très beau. C’est un très joli voyage au fin fond de la forêt profonde. J’ai hâte que les deux autres livres soient traduits… J’ai découvert ce livre grâce à mon amie Valérie qui est libraire, elle m’a dit qu’elle avait un livre dans le genre de la Ravine, vous n’imaginez ma joie. Après l’avoir lu, je vous dirai que ce n’est pas la Ravine, ce n’est pas la même poésie, mais c’est tout aussi incroyable, quel talent !!
En plus d’être très intéressant, je le trouve très beau, c’est pourquoi j’ai mis les couvertures complètes. Je ne sais pas vraiment si c’est mon exemplaire, mais l’encre est légèrement en relief, ce qui donne une impression très agréable lorsqu’on caresse la couverture. Mais, je n’en suis pas sûre, car j’ai essayé avec les livres de la pile chez ma copine, et un seul était comme le mien. Mais bon, le braille fait que j’ai le bout des doigts plus sensibles, alors, je délire peut-être complètement ;o)
Áron Tamasi (1897-1966) a écrit cette histoire en feuilleton dans un journal de Brasov, « Ábel » est publié en 1932 chez Erdélyi Szepmives. Il connaît un succès immédiat. Il est suivi de deux autres volumes plus anecdotiques (paraît-il !!) et rocambolesques. « Ábel dans le pays » et « Ábel en Amérique ». Ils ne sont pas encore traduits en français. Thierry Sartoretti dans la préface, explique que la première traduction de ce livre a été faite en 1944 en Suisse, mais elle s’est perdue dans le chao de la guerre. « Il a fallu attendre plus de 50 ans pour que ce récit extraordinaire ressurgisse des forêts de Hargita dans une nouvelle traduction plus fidèle au texte originel ».
La note d’Agnès Járfás est très intéressante, car elle explique les problèmes qu’elle a rencontrés. « J’espère avoir aboli l’obstacle de la langue d’origine tout en préservant les traits caractéristiques de cette prose chatoyante. Mon désir était de faire de la langue française le révélateur d’un univers aujourd’hui disparu, chargé de beautés et de drames. » Et moi, je répondrais bravo.
Première page
En cette mémorable année 1920, autrement dit un an après que les Roumains nous eurent pris en main, nous les Sicules, ma vie prit également un formidable tournant. Je m’appelais encore et toujours Ábel, et nous habitions à Csíkcsicón ce grand village de cultivateurs de choux, dans le canton de Felcsík, tout près des eaux de l’Olt.
À cette époque, mon père, qui s’appelait Gergely, était encore en vie. Il était garde de la forêt domaniale. Il habitait là-haut, dans la forêt, seul dans une cabane, et il ne rentrait que lorsqu’il avait épuisé ses vivres. Ma mère remplissait alors de nouveau sa musette, il regagnait son logis forestier, et nous ne le revoyions pas pendant au moins une semaine.
Il n’y avait pas d’autre enfant à la maison que moi, et je ne m’en plaignais pas, car nous vivions dans un tel dénuement que mes parents avaient déjà le plus grand mal à m’envoyer à l’école et à me vêtir.
Ce jour qui marqua le grand tournant dans ma vie fut le lendemain de la Saint-Michel, c’est-à-dire le trente septembre. Si c’était un mercredi ou un jeudi, je ne saurais plus le dire, je me souviens cependant très bien que mon père n’était pas rentré de la forêt depuis fort longtemps. Tout de suite après le déjeuner, ma mère partit, sac au dos, arracher des patates en me laissant un grand tas de blé de Turquie à égrener jusqu’à son retour, le soir.
Ábel dans la forêt profonde, de Áron Tamasi, traduit du hongrois par Agnès Járfás, préface Thierry Sartoretti. Éditions Héros-Limite Genève.
Claude