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De Bloomsbury en passant par Court green...
23 mars 2014

La rue du chat-qui-pêche

La rue du chat-qui-pêche
de Jolán Földes

J’ai de la chance en ce moment, je tombe sur des livres formidables… Celui-ci n’échappe pas à la règle.

En 1920, la famille Barabas quitte Budapest pour Paris. Le travail est trop rare dans leur pays, et, ils ont trois enfants Anna, 12 ans, Jani, 7 ans et Klari, 3 ans.
Ils se retrouvent dans un petit hôtel avant d’emménager dans un appartement rue du chat-qui-pêche. Dans cet hôtel, se côtoient des expatriés, qu’ils soient russe blanc, lithuanien rouge, hongrois, des grecs, des yougoslaves tous pour des raisons différentes sont des immigrés sans espoirs de retour. Ils vouent toutefois un attachement aveugle à leur pays. Seuls les Barabas sont libres de retourner chez eux.

Ce livre est l’histoire de la vie de ces déracinés, à qui la cruauté de l’époque, des crises économiques et politiques ont fait quitter leur patrie. Ils se retrouvent tous à vivre ensemble, tout en sachant que jamais ils ne pourront renter. Ils s’entraident et se créent alors une très grande solidarité et un grand respect des autres.
page 19. Si M. Bardichinov avait pu deviner sa pen­sée, il aurait protesté avec chaleur. Car on était en 1920, les réfugiés russes recevaient encore des secours très suffisants, et ils ne croyaient pas que leur exil dût se prolonger encore plus de quelques mois. Il ne serait pas venu à l'idée de Bardichinov d'accepter de l'argent de l'ouvrier. Seuls, l'ennui, la solitude et le désir d'être utile, l'attiraient vers ces enfants, et, si, plus tard, les seuls moyens d'existence de Bardichinov se réduisirent à quel­ques leçons, cefut là un pur hasard, un de ces mélancoliques accidents du destin.


Au fil des pages, nous suivons la famille Barabas évoluer, essayer de s’en sortir, les enfants grandissent, ils changent d’appartement. Page 14. Rue du Chat-qui-pêche... une rue pour rire : on la traverse en deux pas ; en moins de trente, on la parcourt; mais on trouve à Paris de ces étonnantes ruelles pas plus longues que la queue d'un lapin, et cela non seulement dans les fau­bourgs, mais même en plein centre, tout près des voies animées. La rue du Chat-qui-pêche aboutit à la Seine, reliant le quai Saint-Michel à la petite mais très vivante rue de la Huchette. En débou­chant sur le quai, vous avez les deux tours mas­sives et les gargouilles de Notre-Dame à votre droite, et le mur de la préfecture de police en face. Ce qui prouve bien que cette rue est située dans un quartier honorable et au cœur même de la ville.

Il ne saurait, bien entendu, être question de chaussée ou de circulation dans une rue large de deux pas; il n'y a que quelques rangées de six à huit gros pavés d'une maison à l'autre. Aux deux bouts de la rue, on a planté deux barres de fer pour montrer que le passage est interdit aux voi­tures — mais c'est pure vantardise. Il n'existe pas de véhicule assez étroit pour s'insinuer dans la ruelle, quand bien même ces barreaux ne la fermeraient  pas.

Deux rangées de quatre maisons chacune, mais celles des extrémités ont leur entrée soit sur le quai, soit dans la rue de la Huchette; reste donc en fin de compte deux maisons sur chaque côté... Sont-elles anciennes? Personne ne le sait. Ce sont des maisons sans âge, elles peuvent aussi bien avoir cinq cents ans que cinquante. Les entrées sont invraisemblablement étroites, invraisemblablement sombres. Des escaliers de bois montent en tournant dans un espace tout noir. Un palier s'y devine de place en place entre deux trous d'ombre béante... il y a quatre étages à chaque maison. La lessive sèche aux fenêtres.

Rue du Chat-qui-pêche. Quand Anna était petite, elle s'amusait souvent à rêver de ce nom, Au moment de s'endormir, elle évoquait une image derrière ses paupières fermées, jouait avec elle, l'enjolivait.

Toute jeune, Anna est très amoureuse d’un jeune russe, qui mourra mais la marquera à vie. Elle sera couturière, car arrivée trop tard en France, son frère et sa sœur seront eux, ingénieur et médecin. La vie ne sera pas simple pour les parents et l’aînée des enfants, avec son père, elle essaiera d’aller en Amérique du Sud pour gagner plus d’argent, mais ils seront obligés de rentrer, de la même façon, quand ils voudront rentrer en Hongrie, toujours avec son père, en avant-garde, ils se rendront compte tous les deux, que ce n’est plus leur pays.

Toujours, ils pourront compter sur les autres, tout comme sur leur fratrie. Les rapports sont plus difficiles avec les français. Page 240-241. Et... à propos des étrangers. Albertine s’efforce de ne pas le montrer, mais elle considère tout étranger comme un échantillon d'une race diffé­rente, d'une espèce animale curieuse. Elle écoute le langage français si élégant, si facile, de Bardi­chinov, et le regarde avec l'admiration qu'elle ac­corderait à un phoque savant.Jani n'est pas un étranger à ses yeux. Jani est...

Elle accepte également dari, elle lui demande conseil, et rend parfois visite aux Barabas. Elle essaie de s'accoutumer à eux, mais n'y parvient guère. Avec son grand nez, elle ressemble, au milieu d'eux, à un coucou tombé dans un nid qui n'est pas le sien. Les plats hongrois cuisinés en son honneur lui donnent régulièrement des maux d'estomac, et elle étonne M. et Mme Barabas par le récit précis et détaillé de ses indigestions.

Toutefois, ils ont appris à accepter Albertine, comme les parents d'Albertine ont appris à ac­cepter Jani. Il n'y a que Jani et Albertine qui ne s'acceptent pas encore l'un l'autre. Ils ne se com­prennent' pas, ils s'aiment seulement. Quelle triste combinaison !


Ils ne sont pas non plus à l’abri de l’histoire, et même si chacun a son opinion, ils restent amis. Dans ce roman, on sent l’insécurité constante de ces gens qui ont été chassés pour quelques raisons que ce soient de leur pays, et qui essaient juste de vivre, ailleurs, et pourtant… pages 261-262-263.

Les jours suivants sont calmes. Un roi et un ministre des Affaires étrangères ont été tués, c'est là certes un grand événement. Toutefois, il y a déjà dans les souvenirs d'enfance d'Anna : l'as­sassinat d'un prince héritier et de sa femme, celui du chancelier d'un pays voisin du sien, l'Autriche, et, dans sa propre patrie, le meurtre, au cours d'une révolution, du principal homme d'Etat; quant au massacre du tsar et de sa famille, Bardi­chinov lui en a fait le récit au moins deux mille fois; en France, alors qu'elle y vivait déjà, un pré­sident de la République a été assassiné; bref, Anna et sa famille sont évidemment indignées, mais l'événement ne les trouble pas personnelle­ment. On en discute chaque soir au bistrot, Liiv et Mèneghetti fournissent des renseignements au­torisés sur les causes du geste serbo-croate et ses conséquences politiques possibles. Bardichhiev qui est conservateur penche d'instinct du côté des Croates opprimés; Maura qui est latin maudit toute la bande des peuples balkaniques et rappelle l'assassinat d'Obrenovitch; Liiv  qui est socialiste  condamne sévèrement la violence.

Vient le jour où Anna, en rentrant du magasin, trouve toute la famille fort agitée. Il parait que son père est à la maison depuis dix heures; il a été renvoyé.

Aucun d'eux ne sait exactement pourquoi, bien que Barabas ait été chercher des éclaircissements auprès de Meneghetti qui lit tous les journaux. Meneghetti lui a dit quelque chose qu'il n'a pas tout à fait compris. Il attend que Liiv rentre de sa compagnie d'assurances. Liiv explique très clai­rement les choses et les rend intelligibles aux âmes les plus simples. Liiv, dans son pays, faisait des conférences aux ouvriers; Meneghetti parlait dans les clubs libéraux les plus sélects; voilà toute la différence. Pour l'instant, la famille Barabas est en pleine perplexité. Pourquoi les Français en veu­lent-ils aux Hongrois de ce, que des Croates aient tué le roi de Yougoslavie?

Le soir, Liiv explique l'affaire au bistro, et Gun­ther à la maison.
— Je me demande ce qui m'attend, soupire Anna. On ne m'a encore rien dit.

Pendant toute une semaine, elle se rend cha­que jour au magasin, pleine d'inquiétude et re­doutant le pire. Elle est presque soulagée lorsque, au début de la semaine suivante, Mme Lucienne la fait demander.
— Je suis vraiment au regret, mademoiselle Anne... Je ne dirai pas que vous n'avez jamais fait de faute, mais j'étais contente de vous, en somme, et puis nous étions habituées à vous. Je suis désolée, mais je n'y peux rien. Deux clientes m'en ont parlé. Je n'y aurais jamais pensé moi-même, mais aujourd'hui la vieille comtesse Mail­lard m'a encore dit : « Vous avez l'intention de garder cette Hongroise? C'est elle qui m'essaiera? Ah ça, jamais !» Elle a encore dit quelque chose que j'aime mieux ne pas vous répéter, et, là-dessus, elle a pris la porte.
— Oh, c'est vrai?
— Je suis bien contente, mademoiselle Anne que vous preniez nos intérêts si à cœur. Mais elle revient demain. Elle m'a dit qu'elle espérait que, d'ici là, j'aurai fait mon devoir de patriote. Quel­qu'un d'autre lui essaiera : ça sera raté, je pense.
— Je suis navrée, madame Lucienne.
— Vous êtes une gentille fille, mademoiselle Anne...
Lucienne la regarde en disant cela, mais elle semble moins à son aise que d'habitude; enfin elle reprend Je vous conseillerai de tâcher de trouver une autre place pour quelques mois. Dans l'inter­valle, la chose sera peut-être oubliée. Je ne com­prends pas, vraiment, pourquoi vos compatriotes sont si remuants

Anna trouve à la maison sa famille en train de déjeuner. Barabas est là aussi puisqu'il est sans travail. Il n'a même pas essayé de trouver une nouvelle place; il y a renoncé en disant que ce serait inutile tant que durera l'état d'esprit actuel. Anna n'a pas encore terminé son récit, que son père donne un violent coup de poing sur la table :
— Rentrons en Hongrie !

 La rue du chat-qui-pêche, de Jolán Földes, traduit du hongrois par Denise Van Moppès. Éd. Albin Michel.

Étrangement, j’ai du mal à écrire sur ce livre, je l’ai pourtant beaucoup aimé, je dirai même dévoré ! Il y aurait tant de choses à dire, que je crois qu’il ne faut pas trop en dévoiler, l’amitié, les sacrifices, les injustices, les joies, les complicités, la pauvreté mais aussi la si grande générosité du cœur…

Jolán Földes, 1902-1963

Elle était l’une des auteures les plus populaires de l’entre-deux-guerres. Elle fit ses études à Budapest, Vienne et Paris tout en travaillant. En Hongrie, elle est considérée comme une auteure « facile » par les critiques littéraires. Ses romans sont définis comme amusants (cf. wikipédia). La rue du chat-qui-pêche, a été traduit en 12 langues, il a remporté en 1936 le grand prix international du roman du Pinter Publishing Ltd. (Londres). C’est semble-t-il, le seul qui fut apprécié. Bon, je pense que j’essaierai de lire un autre de ses livres, j’ai vraiment aimé celui-ci.

Claude 

jolan

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Commentaires
J
oui moi aussi je l'ai trouvé pour trois fois rien ! mais quelle belle lecture, tu vas voir...<br /> <br /> bon dimanche<br /> <br /> Claude
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D
Plus que tentant, je viens de le trouver d'occasion sur Price c'est super
Répondre
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