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De Bloomsbury en passant par Court green...
28 mars 2014

L'été le plus chaud

L’été le plus chaud
de Szuzsa Bánk

Il y a peu de temps, je vous ai parlé du livre « le nageur » de cette auteure. Je viens de terminer ce livre de nouvelles. Je ne suis pas particulièrement attirée par les nouvelles, elles me laissent sur ma faim en règle générale. J’aime qu’une histoire m’imprègne, j’aime l’emmener avec moi où que j’aille, j’aime y penser, et c’est difficile avec les récits courts. Bon, j’en lis quand même. Je mets souvent beaucoup de temps à lire ces livres, parce que si je lis plusieurs histoires à la suite, j’ai l’impression de ne pas respecter la dernière lue ! Alors, une ou deux par jour par plus !!!!
Bon, je papote, je papote, le plus important dans tout cela est que j’ai adoré ce livre. À chaque récit, je me suis fait un résumé tant j’avais envie qu’il laisse une empreinte sur moi.

12 nouvelles composent ce recueil. 12 portraits de femmes, d’une intensité rare. Les trames en sont l’amour, l’amitié et les bonheurs et désillusions que cela peut engendrer. Quelles différences entre les deux d’ailleurs ! Deux sentiments aussi forts, qui peuvent rendre heureux tout comme malheureux, qui peuvent rendre le monde beau, ou si laid que chacun perd confiance dans les autres… ils peuvent se traduire par les mêmes mots. Et les mots, l’auteure sait très bien les manier pour en parler. Dans ces récits, on trouve la difficulté des mots, du bon mot au bon moment, du bon geste au bon moment… Dans la plupart des histoires, la difficulté des sentiments est tout simplement bien décrite. Je dis simplement, entendez que les mots, la structure de l’écrit est juste, cela paraît si simple en la lisant, cela paraît si naturel. Page 154 (La forêt de Noël). Sylvie regarde la neige qui tombe, elle s'est épais­sie et engloutit à présent chaque bruit, même ce qu'elles viennent d'entendre. Sylvie dit, Léa, Je n'avais pas l'intention de revenir. Elle le dit parce qu'elle doit le dire et qu'elle peut seulement le dire à présent, maintenant qu'elle sait que Léa ne l'entend pas, elle dort. Sylvie parle lentement, comme si la vitesse d'élocution pouvait changer quelque chose à ses propos. Ce n'était pas une bonne idée de passer le vingt-quatre avec toi, ici, j'aurais dû t'appeler, pré­tendre que les vols étaient annulés, à cause du temps, à cause d'une tempête qui faisait tomber trop de neige, j'aurais dû inventer quelque chose. Et maintenant qu'elle le formule enfin, elle ne se rap­pelle plus pourquoi elle ne l'a pas fait, pourquoi elle n'a pas fait tout cela, juste pour se retrouver assise ici, à côté de Léa ivre, le soir de Noël, dans la forêt de la ville, sur un affût.

Si je prends par exemple l’histoire de « Larry », il y a dans cette chronique, une complicité, une acceptation de l’autre, une compréhension que seule l’amitié la vraie peut engendrer. Et Szuzsa Bánk a dépeint cela magistralement entre les trois personnages. L’amitié ce n’est pas forcément toute la vie, ce n’est pas forcément se voir tous les jours, l’amitié ça peut être un moment, mais un instant de vie si intense que jamais on ne l’oubliera. L’histoire se déroule aux États-Unis, moi, j’étais à Berlin, où il y a bien longtemps maintenant, j’ai rencontré un Larry/Andréas, avec cette même sensibilité à fleur de peau, qui pouvait tout pareillement sembler exubérante. Page 119. Larry aimait les hommes. Quand il recevait de la visite, il anesthésiait sa gorge avec des gouttes. Les hommes venaient la nuit, venaient le matin, venaient à midi. Parfois plusieurs à la fois. Ione et moi, nous nous installions sur le canapé du salon. Nous entendions leurs conversations et leurs bruits par le puits d'aération. Nous répétions d'une voix forte ce que nous entendions. Nous en imitions même le ton. Nous attendions que Larry commence à prendre congé et conduise son visiteur à la porte. Depuis le divan, nous faisions signe à l'invité. Dès qu'il était parti, Larry nous demandait : Qu'est-ce que vous en dites, ça n'est pas la bonne heure pour une Queen of Sheeba ?

Page 138
. Larry passait le plus clair de ces journées sur le canapé, devant le téléviseur. Parfois je l'entendais la nuit. Il était sous la douche et laissait l'eau couler longtemps sur son corps. Puis il s'asseyait sur le petit escalier qui menait à ma chambre et laissait sa che­velure trempée dégouliner sur les lattes de bois. Je l'entendais de chez moi. Plic, ploc. Larry passait ses matinées dans la cuisine. Chaque matin, il avalait sous mes yeux une poignée de cachets avec son café noir. J'ai arrêté de boire du cappuccino instantané, expliqua-t-il. J'aurais aimé lui dire, tu aurais dû tout arrêter, Larry, tout. Mais je me contentai de répondre : courage à deux mains et demandai : Larry, qu'est-ce qui se passe avec Tim ? Tim comment ? dit Larry.

La plus intense, la plus touchante à mes yeux, est la première : « Dernier dimanche ». Quelquefois, la vie nous sépare sans que rien de spécial ne se soit passé, juste le manque de temps, le travail qui nous entraîne ailleurs etc. Et un jour, on se retrouve, tout redevient comme avant. C’est ce qui arrive à Anna et Szóka. Après ces retrouvailles, un dimanche après-midi, elles se rendent compte à quel point elles se sont manquées. Elles s’écrivent de très longues lettres, avec un tas de questions. C’est admirable, je ne sais pas quoi dire en plus. En écrivant ces mots, je sens mon cœur se serrer, cette nouvelle m’a bouleversé. L’amitié est si rare, lorsque je parle d’amitié je parle de celle qui vient du plus profond du cœur.

Page 14. Zsóka, elle parle comme autrefois. Sa voix ne s'est pas transformée, pas même son regard, sa manière de dire les choses de telle sorte que personne ne peut s'empêcher de rire. Elle prononce le nom d'Anna comme elle n'a jamais prononcé le nom de personne depuis des années. Elle dit ce surnom affectueux qu'elle avait enfant, à chaque fois qu'elle s'adresse à Anna, qu'elle demande quelque chose à Anna, et cela ne dérange pas Anna que Zsóka l'appelle ainsi, comme personne ne l'a plus appelée depuis long­temps, ça ne la dérange pas le moins du monde, non, ça lui plaît.

Elle aimerait retarder, repousser la dernière embras­sade. Ils prennent du temps pour se dire adieu, ils marchent lentement. Ils font deux pas, s'arrêtent, parlent, de nouvelles questions leur viennent, de nouvelles choses à se raconter.

Pages 17-18. Elles écrivent des lettres. Des lettres de plusieurs pages dans lesquelles elles se racontent tout. Ce qui a de l'importance et ce qui n'en a pas. Elles invoquent leur rencontre, ne cessent de l'invoquer, comme un trésor qu'ils ont caché en commun. Zsóka écrit : Ta manière d'attraper le verre de café des deux mains, comme si tu voulais ainsi les maintenir au repos, ne s'est pas transformée, et Anna écrit : Ta manière de ramener tes mèches derrière l'oreille et de décrire des cercles du bout du doigt sur la table est toujours la même. Elles écrivent même sur le climat, elles le commentent, le temps à l'Ouest, le temps à l'Est. Ici, chez Anna, l'été qui ne veut pas venir, et même s'il finit par arriver, ne veut pas rester, et là-bas, un été beaucoup trop chaud, qu'ils supportent à peine, dans cette ville de pierre, avec ses bouches de métro, sa circulation dense et ses piscines tellement surpeu­plées les jours de canicule que Márti a peur que la foule, dans le bassin, ne la pousse vers le fond et ne la noie. Elles écrivent sur la nourriture, décrivent leur petit déjeuner, elle des œufs aux oignons et au lard avec du thé noir, Anna des fruits et un café, un grand café, avec beaucoup de lait, pas plus. Anna demande avec quoi ils occupent leurs journées, avec qui ils passent leurs soirées. Où ils vont faire leurs courses. Combien cela coûte. Combien de temps ils doivent travailler pour le payer. Et quel est leur tra­vail, ce qu'apprend Márti, à son université.

Jamais Szuzsa Bánk ne tombe dans le sordide, elle joue par moment sur le fil, mais elle ne tombe pas ! Elle exprime aussi bien le bonheur que la tristesse comme je l’ai déjà dit, mais je ne peux m’empêcher de vous remettre un petit extrait. Page 87, (Bonheur). Nous occupons de tout notre long un lit d'à peine un mètre de large. Cela ne nous dérange pas. Comme nous ne pouvons pas dormir, nous en fumons une, et encore une autre, jusqu'à ce que le soleil désigne la crasse sur le carreau de la fenêtre. Elle regarde mes pieds et dit, en regardant les pieds on peut tout savoir. Mes pieds, dit-elle, sont ceux d'une athlète, si ce n'est que le vernis rouge des ongles commence déjà à s'effriter. Je lui dis, peut-être qu'un matin tu te réveilleras, tu regarderas d'abord le plafond, puis par la fenêtre, vers le bas de la rue, tu regarderas d'en haut les gens qui s'assoient dans leur voiture et qui partent, et peut-être qu'en­suite tu voudras me, quitter, mais elle dit : Jamais.

Page 92. En rangeant j'ai trouvé des photos de nous que nous avons prises il y a un peu plus d'un an. Moi d'elle et elle de moi. Sur la photo elle a des cheveux teints en blanc qui lui tombent en longues mèches sur le visage. À l'époque elle a dit que c'était l'une des rares photos d'elle qui ne la mettaient pas à la torture, raison pour laquelle elle a accepté que je la colle sur le radiateur. Plus tard elle a mis les photos dans le compartiment à glace et a expliqué que ses sentiments à mon égard étaient aussi froids que la température de ce compartiment. J'y ai laissé les photos. À côté de trois boîtes d'épinards à la crème.
Au cours de nos dernières semaines elle a présenté des photos de moi, comme autant de preuves. Elles étaient toutes floues. Elle a dit que j'avais perdu mes contours et qu'il n'y avait rien d'étonnant à ce que les photos, elles aussi, soient devenues comme ça.

L’auteure brosse le portrait de toutes ces femmes d’une façon magistrale, on sent tout l’amour qu’elle peut porter aux gens, sa curiosité, ses incompréhensions. Je pourrai continuer à en parler, il y a 12 nouvelles, seules 2 ou 3 ne m’ont pas accroché. Bonne lecture, en ce qui me concerne, je le relirai, et j’attends un prochain roman traduit !

Claude

Dernier dimanche
Lydia
Ère glaciaire
Prières
Dix-huit, peut-être dix-neuf décembre
Bonheur
Parmi les chiens
L'été  le plus chaud
Larry
Forêt de Noël
Gyrophare
Dauphins
 

L’été le plus chaud, de Szuzsa Bánk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. Éd. Points.

 

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Commentaires
J
Je n'ai pas lu "l'objet de mon affection", le titre me dit quelque chose, mais pas plus.<br /> <br /> Avec un tout petit peu de recul, je continue à trouver le livre de Szuzsa Bánk vraiment bien écrit, émouvant. Pourtant, je ne suis pas trop du genre "sentimental" en lecture, mais je crois que chacun de nous peut se retrouver dans ce livre. Même si ce n'est pas dans les histoires, ce peut être dans un bref instant, un moment insaisissable qu'il avait été impossible de comprendre. <br /> <br /> à bientôt<br /> <br /> Claude
Répondre
T
Je lis peu de nouvelles, mais les extraits cités donnent envie de lire Szuzsa Bánk. Ils me font parfois penser à "L'Objet de mon affection", le premier roman de Stephen McCaulay, peut-être par les situations.
Répondre
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