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De Bloomsbury en passant par Court green...
7 août 2015

La miséricorde des coeurs de Szilárd Borbély

La miséricorde des cœurs
de Szilárd Borbély


C’est par les yeux d’un enfant, que Szilárd Borbély nous fait rentrer dans la vie d’une famille, d’un village du milieu des années 60, en Hongrie du Nord-Est. Il tente avec sa famille d’échapper à la brutalité des « nouveaux seigneurs », les communistes.

Il nous décrit leur quotidien, leur grande misère, la lutte au jour le jour pour remplir les assiettes, pour travailler, pour vivre tout simplement. Page 282. Le dimanche, on doit avoir un bouillon au Pourtant, bien souvent, il n'y en a pas. Parce qu'AI en a pas. Alors nous avons une soupe aux pâtes grill et au paprika. Ma mère a honte de ne pas pouvoir donner du bouillon. Mon père a honte, lui aussi ne pas avoir de viande dans la marmite. Je suis le à m'en réjouir, parce que je déteste la volaille. Ça me répugne.

S’ajoute à tout cela comme bien souvent, l’alcoolisme, la violence, les jalousies, l’antisémitisme, etc. Page 201. Je suffoque quand j'entends parler des Juifs. Quand j’entends le mot «Juif», j'ai la gorge serrée. Je cherche l’air. Mes oreilles bourdonnent. Les gens vont s'en apercevoir. J'ai peur de me trahir. Je m'efforce de me comporter comme si cela ne m'intéressait pas du tout. Mon cœur bat la chamade. Dans ce cas, je n'inspire pas d'air. Un bon moment, je ne dois pas respirer. Je sais que je ne peux pas tenir longtemps, mais je ne bouge pas pendant ce temps-là. Je n'ose pas inspirer l'air. Mes oreilles deviennent brûlantes. Ça doit se soir. Je devrais regarder dans une glace. J'ai peur que unes oreilles me trahissent. Les gens parlent souvent des Juifs. Les paroles sont chargées de menace. J'ai peur des paroles.

C'est à l'automne que les fruits du caroubier ou pain de saint Jean-Baptiste arrivent à maturité. Ce sont de longues gousses marron. Elles ressemblent aux gousses des haricots et des petits pois, sauf qu'elles sont plus grandes. Les graines s'y tapissent. Les gousses en vrille du pain de saint Jean-Baptiste ont la couleur du chocolat amer. Marron foncé. Certaines sont aussi longues que l'avant-bras d'un adulte. Tant qu'elles sont fraîchement cueillies et qu'elles ne sont pas desséchées, leur chair est sucrée et goûteuse. Au village, on l'appelle « chiure de Juif». Mali l'appelle ainsi, elle aussi. C'est également le nom de l'arbre. « La chiure de Juif est mûre, crie-t-on sur la Rampa. Alertez les marmots ! »
Ensuite ils rigolent.

Ce livre permet de retrouver la vie dans les villages les plus reculés de la Hongrie, mais aussi de reconstituer son histoire depuis le début du 20ème siècle. Il décrit très bien les traumatismes provoqués par les affrontements de la Grande Guerre, ou par le retour des rescapés du goulag, ou des mesures d’expropriations des terres… et toutes les injustices, la pauvreté et les misères que les hongrois de ces villages du Nord-Est ont dû subir.

C’est un livre fabuleux. L’écriture est sobre, elle arrive à décrire des évènements terribles, tout en restant précise. Si belle, qu’elle permet d’aller au-delà de la grande tristesse et des injustices que dégage le livre.
Ce roman témoigne de la lutte sans fin pour échapper au destin et devenir libre.

Il est très sombre. Je l’ai lu il y a quelques temps, et j’en garde un souvenir poignant.

Et bravo à Agnès Járfás pour sa traduction, quel beau travail !

C’est la premier roman de Szilárd Borbély, et restera le seul, il s’est donné la mort en 2014, à l’âge de 50 ans. Il est connu en Hongrie en tant que poète. Il disait de ce livre au moment de sa parution : « Malheureusement, tout ce que j'ai écrit est trop sombre, trop triste. Ce n'est pas ce que je voulais. Ce n'est pas ainsi que
j'imaginais les choses, pas du tout. Mais malheureusement, il ne m'a pas été donné de connaître un destin facile, alors même que c'est ce à quoi j'ai toujours aspiré ».

« Du contexte politique et historique, rien n'est explicitement dit ici, car rien n'est vraiment clair dans la tête de l'enfant. Mais il sait qu'il appartient à la tribu des « réprouvés », qui fédère les anciens propriétaires terriens, les Juifs, les Tziganes – « tzigane », c'est le nom générique par lequel, dans le village, on appelle les chiens. Ce n'est là qu'un des mille et un détails extrêmement concrets qui abondent dans le récit, qui en sont même le principal moteur, lui conférant une authentique dimension ethnographique. La présence du réel est infinie, sidérante dans ce roman à l'estomac. Le réel dans toute sa trivialité, sa sensualité poissarde, sa brutalité insoutenable, nommé au plus juste et au plus cru par un enfant anxieux qui, pour y survivre, dispose de deux armes : une spiritualité naïve et tendre, une imagination d'enfant qui l'autorise parfois à croire en la possibilité d'une vie autre, une vie ailleurs. » Nathalie Crom- Telerama n° 3400 Le 14/03/2015 –

Claude

Première page
Nous marchons et nous nous taisons. Vingt-trois ans nous séparent. Vingt-trois est un chiffre indivisible. Vingt-trois ne se divise que par lui-même. Et par l'unité. Voilà la solitude qui nous sépare. Impossible de la fractionner. Il faut la trimbaler en son entier. Nous portons le déjeuner. Nous marchons sur le talus. Nous disons un risban. Le risban d'Ogmand. Nous passons par là chaque fois que nous allons chercher du bois mort dans la forêt. Parfois nous faisons un détour par le plat de Szomoga pour pouvoir emprun­ter la route Kaboló. Parce qu'elle est moins boueuse. Nous disons vasarde. Quelquefois on traverse la Forêt­-du-Comte, le long de la route Passerelle. Ma mère porte un fichu sur la tête. Nous disons une pointe. Les femmes doivent se couvrir la tête. Les vieilles nouent le fichu sous le menton. Elles doivent le porter noir. Le fichu de ma mère est coloré. Elle le noue dans la nuque, sous son chignon. L'été, elle porte une pointe légère. Une blanche, à pois bleus. Elle
l'a reçue de mon père l'an dernier, à la foire de Kölcse. Ma mère a des cheveux châtains. Châtains roussâtres, comme les marrons. Tous les marrons ne sont pas roussâtres. Moi et ma sœur ramassons les marrons à l'automne.

 

La miséricorde des cœurs, de Szilárd Borbély, traduit du hongrois par Agnès Járfás. Éd. : Christian Bourgeois éditeur.

7

 

                       

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