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De Bloomsbury en passant par Court green...
3 mai 2017

L'ange de pierre

L’ange de Pierre
de Margaret Laurence

 

L’ange de pierre est ce qu’on appelle un roman à tiroir. J’avoue que je déteste ce terme, mais je n’en vois pas d’autres !

Il aborde le thème de la vieillesse par le biais d’une femme de 90 ans Hagar, qui comme elle le dit : page 263 : Dieu ce que mon univers a rétréci ! Ce n’est plus aujourd’hui qu’une immense salle pleine de hauts lits en fer blancs avec, dans chacun d’eux, quelque chose de recroquevillé qui ressemble à un corps de femmes. Cette phrase revient plusieurs fois dans le roman, et à chaque fois, elle m’a énormément touché. « mon univers se rétréci », ça m’a fait penser à ma grand-mère qui a vécu jusqu’à 100 ans, dont les 10 dernières en maison de retraite, dans une petite chambre impersonnelle.

Hagar vit avec son fils aîné, Marvin et son épouse Doris. La vie l’a usé, elle perd la mémoire, tombe quelque fois, mouille ses draps et oblige Doris à se lever toutes les nuits. Doris a de plus en plus de mal à s’occuper d’elle. Ils décident de vendre la maison, mais pour cela, il faudrait qu’Hagar aille en maison de retraite, ce qu’elle refuse catégoriquement. Page 83.
- Si vous m’obligez à y aller, vous signez mon arrêt de mort, j’espère que vous en êtes conscients. Je n’y survivrai pas un mois, pas même une semaine, vous m’entendez… »
J’ai parlé d’une voix tonitruante qui les cloue sur place. Et puis, alors que je viens tout juste de marquer ce point, je faiblis. Ma vieille carcasse tout entière se met à trembler, ma poitrine est secouée de sanglots, et me voilà pleurant comme un veau, me trahissant par de honteuses larmes.
Elle a de plus en plus de malaises qui nécessiteraient des soins réguliers, mais elle ne veut rien entendre.

Elle se réfugie de plus en plus souvent dans son passé, sa jeunesse avec deux frères et un père autoritaire. Son mariage, avec un homme plus âgé qu’elle, qui boit la plupart du temps, qui est tout sauf courageux, et qui est très différent de tout ce qu’elle a pu  connaître avant de vivre avec lui. Ses deux enfants, son aîné, Marvin, qu’elle avoue n’avoir jamais aimé, et son cadet, John, son enfant « adoré ». Sa fuite, loin de son foyer avec son fils, John, leur nouvelle vie… Elle jette un regard acerbe sur sa vie, sans mensonges, sans faux-semblants. Elle s’avoue ses failles, et admet derrière les apparences, les bons côtés de sa vie.

Page 76. Je n’ai pas de photographie de Brampton Shipley, mon mari. Je ne lui en ai jamais demandé une, et ce n’était pas le genre, à se faire photographier sans qu’on le lui demande. Aurait-il aimé que je le lui demande, ne fût-ce qu’une seule fois ? Ça ne m’est jamais venu à l’idée. Je ne détesterais pas, aujourd’hui, avoir une photographie de lui tel qu’il était quand nous nous sommes mariés. Quoi qu’on ait pu dire à son sujet, personne ne pouvait nier qu’il était bel homme.

 

Page 77. Au magasin de vêtements pour dame Simlow, le parquet ciré sentait la poussière et l’huile de lin, et les portants à vêtements l’apprêt utilisé pour les tissus bon marché. A ces odeurs s’ajoutait celle des semelles en caoutchouc des chaussures de toile empilées pêle-mêle sur le comptoir. J’avais fait tout mon possible pour dissuader Bram de venir avec moi, mais il n’arrivait pas à comprendre  pourquoi j’en faisais toute une histoire. Mme McVitie y était et nous nous saluâmes d’un petit signe de la tête. Bram se mit à tripoter de la lingerie féminine : mortifiée, je regardai ailleurs.
« Viens voir, Hagar. C’truc-là, c’est moitié moins cher que ct’autre. Si y a une différence, j’me demande ben laquelle.
-   Chhhhht…
-   Mais qu’est-ce c’qui t’prend, bon Dieu ? Par tous les saints, femme, pourquoi que tu fais cette tête-là ? »
Mme McVitie avait déjà mis les voiles, comme un galion emportant son butin. Je me tournai vers Bram.
« C’t autre… J’Me demande ben ! Tu ne pourrais pas parler correctement ?
-   Ah, c’est donc ça qui t’chiffonne, hein ? dit-il. Eh bien, écoute, Hagar. Mettons bien les choses au point. Je parle comme j’parle, et c’est pas maintenant que j’vais changer. Si c’est pas assez bien pour toi, et ben c’est bien dommage.
-   Tu n’essaies même pas, dis-je.
-   Et pourquoi que j’essaierais. Ça m’est fichtrement égal que je parle pas comme y faut, mets-toi bien ça dans la tête. J’me fiche pas mal de c’qu’en pensent tes amis ou ton vieux. »
Il était convaincu de ce qu’il disait. Mais fallait-il que je fusse naïve pour en être tout aussi convaincue ! Au bout de la première année de notre mariage, je laissais Bram aller seul en ville et restais à la maison. Il n’y trouva rien à redire. Ça le rendait plus libre d’aller à la taverne retrouver ses vieux potes, et, s’il rentrait saoul, les chevaux n’avaient aucune difficulté à trouver leur chemin.

Hagar est une femme de caractère, qui a grandi dans un monde d’hommes où elle a dû s’affirmer. Cela a entraîné des décisions difficiles, une certaine réticence à exprimer ses sentiments. Hagar tente de comprendre la tournure qu’a prise sa vie, ses sentiments ambigus pour son mari, entre honte et envie, son manque d’intérêt pour son aîné qui ne demandait qu’à exister à ses yeux, son amour sans borne pour son cadet, qui n’est pas toujours reconnaissant. Hagar est au bout de sa vie, elle mène son dernier voyage.

Sur la quatrième, il est écrit : « L’ange de pierre est un irrésistible voyage à travers des yeux d’une femme allant vers la liberté et l’indépendance et comprenant enfin le vrai sens de sa vie. »

C’est en lisant un article sur Robertson Davis, que j’ai « rencontré » Margaret Laurence. Et oui, quelque fois les chemins détournés sont très sympas. Donc, dans cet article (comme sur la quatrième de couverture de l’ange de pierre d’ailleurs) il est dit que Robertson Davis aimait beaucoup l’écriture de Margaret Laurence, et comme moi, j’aime bien Robertson Davis, je suis allée voir. Et voilà…
Ce livre est une très belle réflexion sur la vieillesse, sur le temps qui passe, et notre espace qui se réduit. Sur le regard des autres qui changent. Le regard des autres quand on a 5 ans, 20 ans, etc. et 90 ans changent tellement qu’en lisant le livre je me suis demandée si je faisais la même chose, et s'il m'arrivait la même chose (sans doute, personne n'y échappe). Cela a déclenché une tonne de questions. Bref, c’est un très beau livre, assez drôle et caucasse parfois.

J’ai beaucoup aimé, la citation en début de roman, d’un poète que j’aime beaucoup :

N’entre pas en douceur dans cette bonne nuit.
Lutte, rallume cette lumière qui s’éteint.

Dylan Thomas

Claude

Première page
Du sommet de la colline, l’ange de pierre dominait la ville. Je me demande s’il y est toujours, érigé qu’il fut en mémoire de celle qui rendit sa pauvre âme à l’instant où je m’appropriais la mienne. Cet ange, ce n’est pas sans fierté que mon père l’avait acheté, pour honorer la dépouille de ma mère, mais aussi clamer sa race, désireux qu’il était d’asseoir sa dynastie, pour l’éternité plus un jour.

Eté comme hiver, l’ange contemplait la ville de ses yeux sans lumière. Il était doublement aveugle, non seulement par la pierre qui le constituait, mais aussi par une totale absence de prétention à la vue.

L’ange de pierre, de Margaret Laurence, traduit de l’anglais (Canada) par Sophie Bastide-Foltz. Editions Joëlle Losfield.  

9782070789801FS

 

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Commentaires
J
Bonjour Tania, oui, je comprends très bien. Perdre son autonomie est une des choses qui me fait le plus peur. Devoir être obligée de subir les autres en permanence, même pour se laver etc. ne plus pouvoir aller se promener quand on le souhaite... Et devoir subir des gens qui ne font que leur travail, qui n'ont rien à faire de vous. Oui, c'est terrifiant.<br /> <br /> à bientôt Tania, bon courage, <br /> <br /> Claude
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T
Un sujet qui me touche beaucoup, ma mère ayant atteint cet âge où défendre son autonomie et sa dignité est un défi permanent.
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