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De Bloomsbury en passant par Court green...
1 mai 2020

Maria Messina Je viens de découvrir Maria Messina

 Je viens de découvrir Maria Messina avec deux livres : « La maison dans l'impasse » et « La maison paternelle ». Je ne vous explique pas ma joie d'une telle découverte, ou plutôt si je vous la partage. Quelle auteure formidable, quelle plume ! Toute son œuvre tourne autour de la condition de la femme et des humbles gens dans une Italie du 20ème siècle.

Maria Messina est née le 14 mars 1887. Ses parents se rencontrent jeunes. Lui suit des études d'ingénieur et elle a 16 ans sort du collège, elle est d'une famille noble. Ils sont présentés, et elle tombe amoureuse de lui. Le père de Maria se retrouvera marié sans l'avoir désiré. Le mariage ne fut d'ailleurs jamais heureux. Son père dut arrêter ses études d'ingénieur pour devenir instituteur pour subvenir aux besoins de sa famille. Ils eurent deux enfants, un garçon et Maria.

À cette époque, le garçon était destiné aux études, il pouvait quitter la ville, tandis que la fille se réservait pour la broderie et le piano !

Heureusement pour elle, très jeune elle commença à écrire des histoires pour enfants, et son frère dès le début la soutint. Il avait une confiance totale dans cette petite sœur, qui, il le comprenait n'était pas faite pour la vie qu'on lui réservait. Il l'encouragea à continuer à écrire, et l'incita à se cultiver et à apprendre l'italien correctement et non pas le patois de la région.

Quand elle sentit qu'elle le maîtrisait, elle commença à écrire des nouvelles. Ses thèmes seront récurrents, les petits gens qu'elle croisait, que ce soit la blanchisseuse, le balayeur, l'agriculteur sur le marché... Elle profitait de sa plume pour se révolter contre la manière dont était traité les plus vulnérables, ceux qui étaient constamment écrasés. Elle mettait dans ses histoires toute sa révolte contre la condition de la femme à l'époque, tout l'étouffement et l'injustice que cela lui inspirait. Elle écrivait également des livres pour enfants, qui plus tard elle donnera tous les ans à ses nièces.

Son œuvre est essentiellement constituée de recueils de nouvelles, de livres pour enfant et du magnifique, magistral roman « La maison de l'impasse ».

C'est vers ses 20 ans, qu'elle commença à être édité. Ses écrits ont été très rapidement acceptés par les maisons d'éditions italiennes alors qu'elle n'avait aucun mentor.

Au fil du temps, son père avait été muté, et la vie s'était un peu améliorée pour eux. Toutefois, son bonheur le plus intense était la venue de son frère adoré, sa femme et leurs deux filles. Sa nièce Annie écrit d'elle (page 93, la maison paternelle):« Maria était à cette époque telle que je la revois dans mes souvenirs et telle que je la retrouve dans les photos jaunies de l'album de famille : une jeune femme menue avec un petit visage pâle aux grands yeux lumineux, encadré par une masse de fins cheveux châtains. Mais cette fragilité cachait une force d'âme peu commune, la force qu'il avait fallu à cette jeune fille de bonne famille, qui aurait dû ignorer certaines indignités, pour dénoncer ce qui se passait derrière la façade de maisons respectables, où la femme était tenue dans un état de sujétion proche de l'esclavage. »

 

Maria avait du succès, ses écrits étaient reconnus par son public et le monde de la littérature italienne avec qui elle échangeait beaucoup.

Mais le malheur arriva, elle appris qu'elle avait la sclérose en plaques (encore inguérissable aujourd'hui). Elle ira de médecin en médecin, ne voulant jamais baisser les bras. (page 94, la maison paternelle), Elle qui s'était rebellée avec tant de passion contre les injustices sociales se rebella de toutes ses forces contre l'injustice du destin qui la frappait. Elle ne voulait pas s'avouer vaincue, elle ne voulait pas se laisser mourir.
Elle s'obstinait à écrire lentement, péniblement, tapant à la machine de ses doigts mal assurés ; mais bien vite elle n'en fut même plus capable. Alors elle cessa de lutter, ne répondit plus aux lettres, aux sollicitations des éditeurs ; et peu à peu on l'oublia.

Sa famille l'a toujours soutenu pendant la maladie, à la fin de sa vie, en 1944, elle vivait avec une infirmière qui lui resta fidèle jusqu'au bout à Pistoria dans un rez-de-chaussée. (page 95, la maison paternelle) Maria avait beaucoup changé : mais, si elle était physiquement dévastée par la maladie, sa force d'esprit était intacte. Elle tendait simplement vers un autre but. Au désespoir stérile d'autrefois avait succédé – chez elle qui n'avait été qu'une croyante tiède – la sérénité de la résignation chrétienne, une foi profonde qui ne cherchait plus dans ce monde la réparation de l'injustice. Elle ne se plaignait jamais, elle ne parlait jamais de ses souffrances pour ne pas attrister notre jeunesse insouciante et un peu égoïste, comme l'est toujours la jeunesse. Je revois encore son visage marqué par la souffrance, mais toujours beau, qui s'éclairait d'un sourire lorsque, tout en tenant dans les miennes ses mains froides et inertes, je lui parlais de mes rêves et de mes espoirs, qui avaient été les siens.

Elle est morte chez des paysans, trop fatiguée par l'évacuation de la population. Son infirmière était restée près d'elle, elle n'est pas morte seule.

Grâce à sa nièce Annie Messina, sa littérature est revenue parmi nous, pour notre plus grand bonheur ! Merci.

Annie Messina (la maison paternelle). Un jour enfin, je découvris, parmi les dernières publications d'une maison d'édition renommée, les éditions Sellerio, un petit recueil de nouvelles portant ce nom : Maria Messina. À l'intérieur, une brève introduction de Leonardo Sciascia parlait de ces nouvelles retrouvées par hasard et jugées dignes d'être proposée au public italien d'aujourd'hui. Sciascia faisait allusion au mystère de cet écrivain si vite disparu dans le néant.

J'ai écrit à l'éditeur et me suis mise à sa disposition afin de fournir des renseignements plus précis sur l'auteur et sur son œuvre. On a imprimé d'autres œuvres, avec un succès croissant. Aujourd'hui, grâce à des personnes attentives qui ne s'intéressent pas uniquement aux grands succès contemporains, mais qui écoutent aussi les voix étouffées qui nous parlent du passé, la protestation passionnée de cette jeune femme contre l'injustice de la condition féminine à son époque a franchi les Alpes et se fait entendre bien loin de sa province natale. Récemment, dans Le Monde, Anne Bragance, qui connaît bien la littérature italienne, a écrit qu'une visite à La Maison dans l'impasse, la triste maison dans laquelle, grâce à son art, l'écrivain introduit le lecteur en lui laissant toute liberté de jugement, est « plus convaincante », pour la cause de la femme « que tous les manifestes féministes ».

Je pense que pour Maria Messina ce jugement aurait constitué la plus belle de toutes les reconnaissances.

Si vous ne la connaissez pas, n'hésitez pas ! C'est un pur chef-d’œuvre, un plaisir indéfinissable. Alors que les sujets sont durs, les situations compliquées, ses phrases sont comme une source qui chante.

Je vous mets les premières pages des deux premiers livres que j'ai lu, aussitôt que ma librairie réouvrira, je passerai commande !

Claude

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Premiers chapitres

 

LA MAISON DANS L'IMPASSE

Nicolina cousait sur le balcon ; elle se hâtait de finir son ouvrage, dans la lumière blême du crépuscule. De là-haut, la vue se limitait à la ruelle étranglée, profonde et sombre comme un puits vide, et à l'étendue de toits rougeâtres et moussus sur lesquels pesait un ciel bas, décoloré. Nicolina cousait vite, sans lever les yeux. Elle sentait toute la tristesse de ce décor étroit, comme si elle l'avait respirée avec l'air ambiant. Elle revoyait malgré elle la maison de Sant'Agata, le petit balcon de fer rouillé, grand ouvert sur les champs, devant le ciel immense où les nuées semblaient se mêler à la mer, là-bas, au loin.

Pour elle, c'était l'heure la plus tranquille de la journée : elle en avait fini avec les tâches ménagères. Mais c'était aussi un moment de mélancolie. Dans la maison, dans l'air, dans les cœurs, le temps marquait une pause, le silence se faisait poignant. Les rêves, les regrets, les espoirs semblaient alors s'avancer en cortège, dans la lumière incertaine qui baignait le ciel. Et nul n'interrompait les songes vagues, inachevés.

Antonietta se trouvait dans la chambre, au chevet d'Alessio, fiévreux depuis six jours. D'habitude, son beau-frère restait assis près de la table, que Nicolina avait débarrassée.

La maison de l'impasse de Maria Messina, traduit de l'italien par Marguerite Possoli. Éditions Cambourakis. 

R240117886

 

LA MAISON PATERNELLE

À son arrivée, Vanna fut accueillie par son père et ses deux frères, Antonio et Nenè.

Tandis qu'Antonio s'occupait des bagages, son père demanda à Vanna, en lui emprisonnant les mains dans les siennes, comme lorsqu'elle était petite :
- Pourquoi es-tu seule ? Pourquoi es-tu partie à l'improviste ?
- Je t'expliquerai plus tard, papa... répondit Vanna en rougissant.

Ils étaient tous les quatre un peu embarrassés. Antonio dit alors :
- Si tu nous avais avertis à temps, l'un de nous aurait trouvé le moyen de... Quelle idée de venir seule !

Son père intervint :
- Elle nous racontera plus tard...

Il y eut un silence gêné.
- Tout le monde va bien, à la maison ? demanda Vanna au bout d'un moment.
- Très bien, fit Antonio. Maman voulait venir, elle y tenait... Mais finalement, ça n'a pas été possible. Tout le troupeau se serait déplacé avec elle !

La maison paternelle et autres nouvelles de Maria Messina, traduites de l'italien par Marguerite Pozzoli. Éditions Actes Sud.

 

 

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Commentaires
T
Bonjour, Claude, comment vas-tu ? <br /> <br /> Un salut amical en cette journée internationale des droits des femmes.
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T
Un bonjour en passant, Claude. Ne voyant pas mon commentaire précédent, j'espère que tes ennuis de santé ne se sont pas aggravés. Courage & bon week-end.
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T
Je ne la connais pas du tout, merci de me la faire découvrir, même si je lis peu de nouvelles en général.<br /> <br /> Bon courage pour continuer la revalidation, j'espère que les séances de kiné pourront bientôt reprendre. Bonne soirée, Claude.
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C
Bonjour Claude, une totale inconnue en effet! <br /> <br /> Une très belle écriture, merci beaucoup d'avoir fait l'effort de nous en rédiger un billet.<br /> <br /> Bonne journée, amicalement.
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