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De Bloomsbury en passant par Court green...
15 mai 2021

Tea Rooms

Tea Rooms
de Luisa Carnés
 

     Dans l’Espagne des années 1930, la misère règne, le chômage touche toutes les familles à revenu modeste. La crise creuse encore plus le déséquilibre entre les différentes classes sociales. Pages 21-22. Chaque printemps demande le renouvellement proportionnel à de la garde-robe. La femme riche aspire à être en été, et à prendre soin de sa délicate nudité. La femme pauvre le redoute. La pauvre voit venir avec crainte l’arrivée des jours radieux et de ce soleil ennemi qui découvre la chaussure informe, qui met en lumière chaque détérioration de sa tenue avec la précision d’un projecteur sur une star. La femme pauvre aime l’hiver, même si l’eau engourdit ses pieds. En hiver, les gens marchent très vite – chacun à sa tâche. Il pleut trop pour prendre le temps de contempler de belles jambes. Et la jeune fille modeste n’est pas obligée de marcher en gardant son équilibre dans des chaussures bancales. L’hiver fatigue ses membres et gerce ses mains nues, mais la femme pauvre le préfère au printemps ou à l’été, parce qu’avant tout elle a un sexe et une conception de la féminité, qu’elle cultive, comme la femme riche sa délicate nudité sur des plages cosmopolites.
     Mathilde vit avec ses parents et frères et sœurs. Elle est l’aînée. Elle se doit de les aider. Elle répond, se déplace pour de nombreux entretiens d’embauches, mais jamais n’a les compétences. Il est vrai que lorsque l’on a été obligée de quitter l’école à 11 ans, il est difficile de s’imposer dans les bureaux.
     Un jour, elle trouve toutefois un emploi dans un salon de thé. Il y fait chaud, et l’odeur y est agréable, cela l’a réconforte un peu, elle qui a toujours la faim au ventre et froid. Elle entre dans un monde qui lui est inconnu. Les salaires y sont bas, les emplois précaires, il est si facile avec le chômage qui existe de faire régner la peur… Alors, elle se tait. Pages 99–100. C’est tout de même merveilleux de voir comment le besoin peut atrophier le critère moral, comme il peut le déformer ! Mais tout  bien considéré, qu’est-ce que la moralité ? Bon ! proteste Mathilde ; il faudrait dire à la responsable, par exemple : « Je n’apprécie pas l’ambiance de la maison ; tous ces couples qui se réfugient dans les coins stratégiques du salon pour se peloter plus librement ne sont absolument pas un spectacle exemplaire. » Et que répondrait la responsable ? Elle répondrait sûrement : « Ah bon ? L’ambiance de la maison vous semble amorale, ma petite ? Vous ne pouvez accepter certaines choses, tout à fait naturelle d’ailleurs ? Dans ce cas-là, prenez la porte. Et si vous avez faim, ma pauvre, vous n’aurez qu’à manger votre moralité. »
     Et pour Mathilde qui est discrète, il est difficile de supporter les conversations frivoles de ces collègues, les vols, les médisances… Mais, il y a plus grave encore. La colère gronde dans les rues, les gens commencent à se rebeller, les manifestations déferlent dans les rues, et les frivolités sont bien loin. Faut-il les rejoindre au risque de perdre son emploi ? Chaque personne du salon de thé qui a un brin de réflexion remet en cause sa place.

 

     J’ai lu ce livre quand il est sorti, il y a peu de temps (je suis loin d’être à jour dans les livres que je voudrai vous faire partager !!). C’est une pépite ! Il est autobiographique. Luisa Carnès (1905-1964) a été obligée de quitter l’école à 11 ans pour commencer à travailler. Elle est issue d’une famille d’ouvriers. C’est une autodidacte, que sa passion pour la littérature à pousser jusqu’au journalisme. Imaginez, la volonté qu’il faut !!
De son expérience, elle écrira ce premier roman « Tea Rooms », qui fera d’elle selon la critique de l’époque, l’une des écrivaines les meilleures des années 1930.
Ce premier livre, lui permet de devenir journaliste à plein temps. Ses engagements sociaux, ses idéaux politiques, la guerre civile, feront qu’elle devra s’exiler au Mexique. Ensuite, elle a été censurée par le régime de Franco et a « disparu » de la scène littéraire. Mais elle revient aujourd’hui, quelle chance nous avons ! Ce magnifique roman, qui non seulement nous décrit la vie dans un salon de thé avec toutes ses mesquineries, mais aussi LA VIE en Espagne ou ailleurs, je pense dans les années 1930. Toutes les pauvretés, qu’elles soient sociales, politiques, patronales, sentimentales… y sont représentées.
Majestueux ! C’est un livre qui soulève des questions qui pourraient se poser tout aussi bien à notre époque, et par sa belle écriture reste en vous.

Claude

Première page
-… le paiement à l’échéance étant le principe du commerce, je vous saurais gré de trouver le moyen de me faire parvenir le produit net de cette transaction sous forme de lettre de change sur Londres ou Paris…
Dring, dring, dring…
L’homme gros et chauve approche sa main du combiné téléphonique.
-Allô ? Gray & Fils, je vous écoute.
Tout en parlant, il fait rouler entre ses dents un gros cigare à demi éteint. Une salive brune perle aux commissures de ses lèvres.
D’un timide coup d’œil Mathilde essaie d’embrasser du regard tout ce qui l’entoure. Elle se trouve dans une grande pièce, aux murs de couleur claire, couverts de classeurs à tiroirs américains et d’armoires anciennes remplies de livres de comptabilité.

Tea Rooms, de Luisa Carnés, traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno. Editions LA CONTRE ALLEE.

tea rooms

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Commentaires
J
Bonjour Colo, ça me fait très plaisir que tu me donnes ton avis, car c'est très rare !<br /> <br /> C'est vraiment un beau livre, c'est incroyable qu'elle ait été "gommée" comme cela, heureusement les temps ont un peu changé et nous pouvons nous régaler à la lire ! à tout bientôt
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C
Bonjour Claude, je reviens car je viens de le terminer, tu as raison, je l'ai lu en espagnol bien sûr, et, comme tu dis, je me suis régalée. La variété de styles, tout est si vrai, terrible, et attachant en même temps.<br /> <br /> Un tout grand merci pour cette découverte.
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J
Bonjour Colo, tu vas te régaler. Je pense que c'est le premier de ses livres qui est traduit en français. Bonne fin de journée à tout bientôt, Claude
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C
Je le note illico, merci beaucoup, je ne la connais pas du tout.<br /> <br /> Bon dimanche Claude.
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P
Un grand merci pour la découverte de ce livre qui me parait vraiment passionnant avec ce regard direct sur un pan de l'Espagne "d'en bas" à cette époque. Les quelques indications biographiques me font un peu penser à Merce Rodoreda, dont j'avais aimé La place du diamant.
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T
Voilà un titre qui pourrait me plaire, pas parce que j'aime le thé - je ne fréquente guère ce genre de salon - mais pour le sujet, le témoignage et pour découvrir cette romancière espagnole.
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