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De Bloomsbury en passant par Court green...
17 février 2022

l'autre moitié du monde

l’autre moitié du monde
de Laurine Roux

Je vous présente ici, un livre merveilleux, terrible et magnifique à la fois, et pour ne rien enlever à tout cela, il est très bien écrit, le rythme nous entraîne encore plus profondément dans l’histoire.

La révolte gronde chez les espagnols, nous sommes dans les années 1930. Le monde paysan et rural en général n’en peut plus d’être exploité.

La famille de Toya, une adolescente, vit dans les marais. Son père, Juan, travaille dans les champs de la « Marquise » la noble du coin, et Pilar, sa mère, elle, travaille au château comme cuisinière. Toya est élevée librement, il lui arrive de suivre sa mère au travail, sinon, elle passe son temps à observer la nature. Elle ne va pas à l’école, elle ne le souhaite pas. Page 14. Juan son père n’est pas encore revenu de la rizière. En l’attendant, elle dégraisse la peau du lièvre, la met à tremper. Puis elle grignote quelques olives, un morceau de pain, et se déshabille. Le soleil chauffe le sol sablonneux. On y voit presque trouble tant il fait chaud. Toya s’oublie dans le delta quadrillé par les chemins de terre et les canaux, s’oublie au bord des bassins bordés de joncs et de roseaux, se fond dans les aplats beiges, jaunes et bleus. Un peu étourdie, elle avance pieds nus, repousse les touffes d’herbes hautes ; le rideau végétal se referme sur elle. L’enfant pénètre dans l’eau, bouillon saumâtre. Elle bascule la tête en arrière, laisse son corps affleurer. Offre son visage, ses seins naissants et la surface de ses cuisses au soleil. Le reste barbote dans l’eau. Elle sait que des bêtes vivent là-dessous, cette idée lui plaît.

Le soir, les compagnons de Juan se retrouvent autour de la table sous la tonnelle. Toya qui est au lit, les écoute. Peu à peu, les discours changent, elle ressent la colère dans les voix. Un jour, une nouvelle voix se fait entendre, c’est celle d’Horacio, le nouvel instituteur.

Peu à peu, nous découvrons par les yeux de Toya l’innommable, la vérité endurée par les paysans et leurs familles. Un monde, où les riches disposent des pauvres. Elle nous entraîne dans un déchaînement de barbarie, plus sordides les unes que les autres, liées à la présence du fils de la Marquise. Jusqu’au jour où les choses vont trop loin, où une jeune fille est violée et assassinée, où Juan se retrouve en prison pour avoir contesté, où le groupe fait appel à José, un avocat, ami d’Horacio. Cette mort est « la goutte qui fait déborder le vase ». Des paroles ils décident de passer à l’action. Et tout le reste, je vous laisse le découvrir. Page 41. Le bruit se propage. C’est un diable qui a tué Alejandra, il était accompagné d’un loup ! Les villageois ont bu, ils déraisonnent. Des voix fusent. On va débusquer le criminel, lui couper les couilles. Quelqu’un lance, Sus cojones al fuego ! les hommes alimentent le bûcher, les brandons dessinent des blessures dans le ciel. Juan jette un regard affolé en direction d’Horacio. Ses yeux disent, Il faut faire quelque chose, ça va mal tourner. L’instituteur monte sur une pierre, s’écrie : ça suffit ! De nouveau le silence, tendu. Les hommes sont saouls, ils ne tiendront pas longtemps. Alors Horacio choisit ses mots, il ne promet rien, fait dans le pratique ; fouille, secteurs, former des groupes. Ils auront besoin de volontaire. Qui en est ? Les gars du collectif s’avancent. Juan, Pedro, Francisco, d’autres encore. Aucun ne souhaite jouer au redresseur de torts, ils veulent seulement que justice soit rendue. Horacio répartit les équipes. Rizières, jonchères, vergers, colline, village. Tout sera passé au peigne fin. Et l’église ?Horacio n’y a  pas pensé. Juan propose de s’en charger, c’est dans son périmètre. Marché conclu, tapes dans le dos. Avant de partir, il s’assure que Pilar va bien. Elle pleure, en retrait contre le talus. Alors, il lui saisit les mains, répète, Mi querida. Elle doit se montrer forte, ils vont attraper le salaud qui a fait ça.

Ce livre m’a fait pleurer ! Il est dur par ses faits, son époque, et Laurine Roux avec son écriture fluide nous y plonge plus intensément encore. Ses descriptions de la nature, des anciennes coutumes, des gens… font que nous sommes avec Toya. Jusqu’au dernier mot, elle nous étonne, elle nous fait voyager. Elle fait se rencontrer le passé et le présent. C’est magnifique !

Je ne vous explique pas le mal que j’ai eu pour choisir le livre qui a suivi…

Claude

Première page

Derrière chaque bouquet au bord de la route se tient un fantôme. Sa silhouette flotte en lisière, vie brumeuse dont on ne saura rien, à peine les derniers instants. Le reste, on peut uniquement l’imaginer : une maison non loin, quelqu’un resté seul, une toile cirée avec des motifs, longtemps on a mis une assiette en trop. Chaque fois les mains ont frémi. Cela fait cet effet de toucher l’absence.

Derrière chaque bouquet au bord de la route, la même scène : un tronc, peut-être un léger assoupissement, des éclats de verre – lumières rouges et blanches – et le volant auquel s’accroche le conducteur, yeux écarquillés une fraction de seconde avant le choc. Parfois, l’autoradio continue de tourner quand le cœur a cessé.

Derrière chaque bouquet au bord de la route, il y a une main. Qui accroche les tiges. Les doigts ont trempé dans les larmes. Depuis, elles ont séché. Mais les doigts restent lourds de chagrin. De ce chagrin qui meut les corps, les conduit chaque semaine au bord de la route ; la ficelle, le nœud, parfois sous la pluie, décrocher, remplacer. Comme ils sont vivants ces doigts.

l’autre moitié du monde, de Laurine Roux. Éditions du sonneur.

 

l'autre moitié

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Commentaires
J
Il est fabuleux...
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C
Ah, il faut absolument que je le lise, l'Espagne, les extraits, tes mots, oui, vite!<br /> <br /> Merci
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