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De Bloomsbury en passant par Court green...
6 novembre 2022

Le pays des sapins pointus

Le pays des sapins pointus
de Sarah Orne Jewett

J’ai lu ce livre deux fois, une fois au printemps, il m’avait enchanté mais j’étais tellement fatiguée que j’avais eu le sentiment de pas en avoir profité autant qu’il le méritait ! Aussi, je l’ai repris, relu, et la magie de la plume de Sarah Orne Jewett a opéré deux fois plus… Que de bonheurs !

Il a été écrit à la fin des années 1890. C’est le seul livre traduit en français de l’auteure.
Andréas Lemaire de la librairie Myriagine à Anger, en a fait la préface, et il écrit (je n’aime pas reprendre les mots des autres, mais je trouve cela si juste et si bien écrit que je me le permets exceptionnellement.) : « Terre de fiction bien arrimée à la falaise du réel, identifiable autant par ses embruns que par les qualités de l=sa lumière, la richesse de sa flore ou la compacité de ses chemins, Dunnet Landing advient et prend corps si naturellement sous nos yeux que l’on jurerait très vite y avoir séjourné de longs mois au côtés de ses habitants. Sarah Orne Jewett a l’art et la manière de faire exister les lieux et les gens qui y vivent. Sous la plume délicate, précise et élégante, le temps est étiré, alenti, la chaleur des êtres, le drame parfois niché au creux de leur existence comme une concrétion rocheuse dans les herbes hautes, n’en finit pas de toucher, de s’infiltrer en nous… »

Que dire de plus ! La qualité de l’écriture de cette femme est si délicate, précise, (on a l’impression de la voir écrire, lever sa plume et penser au mot qu’elle écrira plutôt qu’un autre), si drôle aussi. De faits anodins de la vie, elle arrive à nous donner l’impression d’être derrière la fenêtre, ou cacher derrière un arbre, de sentir le vent, d’entre la voile des bateaux… d’être là avec elle. Je dis également un grand bravo à Cécile Roudeau pour sa traduction, ses annotations et sa postface.
À son origine le livre est sorti en nouvelles dans les journaux.

 

Pour en venir à l’histoire, elle se déroule dans un village imaginaire du Maine, je suis sûre toutefois que vous en reconnaîtrez un (pour ma part j’ai vécu les 10 premières années de ma vie dans un petit village qui pouvait très bien être celui-ci !). L’auteure a déjà séjourné brièvement à Donnet Landing, et elle y revient pour les mois d’été, elle doit écrire des articles. Elle loge chez Mme Todd, une veuve, guérisseuse, au caractère bien trempé. Cette dernière connaît sur le bout des doigts, la flore, fabrique des remèdes, et est en quelque sorte, celle qu’on va voir avant le médecin. Pages 126-127. Nous venions tout juste de dépasser un petit bois qui ombrageait la route et nous nous trouvions désormais en vue de grands champs bien dégagés quand Mrs. Todd soudain serra la b ride, comme s’il y avait eu quelqu’un au bord de la route qui l’eût arrêtée. Elle fit même de la tête ce petit signe rassurant avec lequel elle avait coutume de répondre à une salutation ; mais je m’aperçus qu’elle avait les yeux rivés sur un grand frêne qui poussait juste à l’intérieur de l’enclos.
« Je savais qu’il allait finir par bien tourner, fit-elle non sans un brin d’orgueil tandis que nous reprenions la route. Vous auriez dû le voir, la dernière fois que je suis monté ici, comme il courbait l’échine ; on aurait dit qu’il était découragé. Ça leur arrive aux arbres, parfois, aux arbres adultes : ils sont pas différents des gens après tout. Et pi’ un jour ils se ressaisissent, ils lancent leurs racines à la recherche de nouveaux filons et ils recommencent tout depuis le début, avec le cran qu’il faut pour le faire. Les frênes ont tendance à avoir des mauvaises passes, comme ça ; ils ont pas la même détermination que d’autres arbres. »
Je lui prêtais une oreille attentive, dans l’espoir d’en entendre un peu plus ; c’était cette sagesse si particulière dont elle seule avait le secret, qui rendait la compagnie de Mrs. Todd si précieuse et agréable.

Au fil des pages, elle nous fait découvrir des personnages pittoresques, extraordinaires, des personnages du quotidien, que beaucoup aujourd’hui ont désappris à relever, à apprécier. Elle nous présente donc, la mère de Mme Todd, son frère, son amoureuse, les villageois qui viennent toquer à la porte pour un onguent ou poudre qui les soulagera. Bon, au bout d’un moment l’auteure qui n’arrive pas à dire non à Mme Todd, et qui sait que c’est la pleine saison pour les récoltes d’herbes, se décide à se trouver un endroit pour écrire tranquillement, car bien souvent, elle doit rester à la maison, pour les « clients, patients » qui viennent récupérer leur médicament. Au fil de ses balades, elle trouve l’école qui est inoccupée pendant l’été, ouverte aux vents, aussi décide-t-elle de demander la permission pour s’y installer une demi-journée par jour pour y écrire. Dans cet endroit, qui paraît magique, où elle entend la mer, elle écrit en paix, mais pas seulement, elle y reçoit des visites !

Des gens simples, des paysages magnifiques, retranscrit avec tant de justesse, comme on en croise peu aujourd’hui, ce livre écrit en 1895 est d’une richesse inouïe, et offre un plaisir de lecture incommensurable ! Page 291. Ce fut une journée d’attente, cette journée de printemps ; il y avait dans le ciel de mai autant d’espoir que dans nos cœurs aimants, et l’herbe sous nos yeux verdirait d’heure en heure. L’air était doux et plein d’oiseaux, et la mer avait pris des reflets rougeoyants, abandonnant l’éclat glacé de froidure hivernale qui avait persisté jusque tard dans l’année. Le visage de Mrs. Todd avait une expression que je ne lui connaissais pas et que jamais plus je ne lui revis. Elle était de la plus belle humeur. Il était tôt ; je sortis faire un tour et lorsque je revins, nous nous installâmes séparément, chacune dans sa pièce et n’en bougeâmes presque plus. L’air avait quelque chose d’électrique et, lors de la seule conversation que nous eûmes, Mrs. Todd adopta sa manière la plus abrupte, la plus incisive. Elle tricotait, e crois ; quant à moi, je pris un livre pou m’occuper. Je l’entendais qui faisait les cent pas et, la porte étant désormais grande ouverte, elle sortit et se mit à arpenter l’allée centrale jusqu’au petit portail, comme si c’eût été un ponton.
Il y a quelque chose de très solennel à rester là, assis, dans l’attente des grands événements de la vie – nous l’avons fait, la plupart d’entre nous, à maintes reprises ; guetter la vie ou bien la mort procure le même sentiment.

 

Comme il a été difficile de le quitter !
Claude

Première page
Il y avait un je-ne-sais-quoi, dans la petite ville côtière de Dunnet, qui la rendait plus attirante que d’autres villages de la côte est du Maine. Peut-être était-ce le simple fait de l’avoir déjà fréquenté et connu qui rendait ce coin si attachant, qui suscitait un tel intérêt pour ces bois sombre et ce rivage rocheux, pour les quelques maisons qui entouraient le débarcadère et semblaient solidement arrimées, voir chevillées aux récifs. Ces maisons tiraient le meilleur parti possible de la vue qu’elles avaient sur la mer et il y avait dans leurs petits bouts de jardin quelque chose de joyeux et de résolument fleuri ; leurs fenêtres à petits carreaux, perchées au sommet de pignons aigus, ressemblaient à des yeux avertis qui scrutaient le port, puis, au loin, la ligne d’horizon, à moins que, tournés vers le nord, ils ne contemplent le rivage qui serpentait sur fond d’épicéas et de sapins baumiers. Entrer dans l’intimité d’un village comme celui-ci et de ses alentours, c’est comme faire la connaissance d’une seule et même personne. Le coup de foudre, dans ce cas, est aussi irrévocable qu’il est soudain ; mais pour que puisse s’épanouir une amitié véritable, il faut parfois toute une vie.
Après une première visite, assez brève, qu’elle avait rendue à Duneet Landing deux ou trois étés auparavant, à l’occasion d’une croisière, une amoureuse de ces lieux y retourna pour trouver le rivage des sapins pointus inchangé : le village et son cortège de conventions minutieusement établies avait conservé son charme vieillot et elle retrouva là tout ce dont ses rêves lui avaient tendrement parlé – ce mélange d’isolement et de certitude enfantine d’être au centre de la civilisation. Un soir de juin, une unique passagère accosta au quai des bateaux à vapeur. La marée était haute ; une belle foule s’était rassemblée sur le quai et les plus jeunes parmi les badauds la suivirent, tout vibrant d’excitation contenue, comme elle grimpait la rue étroite de cette petite ville de bardeaux blancs et d’air salé.

Le pays des sapins pointus, de Sarah Orne Jewett, traduit par Cécile Roudeau, préface d’Andréas Lemaire. Notes et postface Cécile Roudeau. Éditions RUED’ULM.

 

 

Capture d’écran 2022-11-06 160950

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Commentaires
J
Bonjour Dominique, oui il est merveilleux. à bientôt
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D
ce livre est plus que tentant <br /> <br /> les editions rue d'Ulm réserve bien des surprises
Répondre
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