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De Bloomsbury en passant par Court green...

1 mars 2024

La demeure du vent

La demeure du vent
de Samar Yazbek

Ali est un jeune homme qui vit dans un village pauvre en Syrie, c’est un sauvageon dans le sens où il respire avec la nature, les arbres, le ciel, l’herbe, les fleurs, les animaux… Après 3 ans de guerre, il est enrôlé de force dans l’armée.

Dès la première page de ce fabuleux roman (oui oui fabuleux), Ali gît non loin d’un grand chêne, comme celui de son village, blessé parmi les feuilles. Tous les autres membres de son groupe paraissent morts. Son but alors, est d’arriver à rejoindre l’arbre, de se mettre sous sa protection. Entre ses moments de lucidité et ses délires, il remonte sa vie. Du jour de sa naissance où pendant quelques heures aucun son n’est sorti de sa bouche, à ce jour allongé dans les feuilles au milieu des trous d’obus.

Ali est le fils de Nahla, le second de 5 enfants. Sa naissance « particulière » lui vaut d’être « adopté » par la Rouquine, la vieille gardienne du sanctuaire qui le prend sous sa protection.  Page 55. Personne ne connaissait le vrai nom de la Rouquine, et elle-même disait qu’elle l’avait oublié. Il se racontait qu’elle s’appelait en vérité Yamama, « La Colombe ». Cependant, un jour qu’Ali était lové dans ses bras, elle s’était levée brusquement pour cracher au visage d’un des hommes qui l’avait appelée ainsi : « Yamama est morte, avait-elle protesté. – Mais alors comme tu t’appelles ? » s’était enquis l’homme, interloqué. Ce à quoi elle avait répliqué : « Je suis la sœur de l’arbre, imbécile, et Ali, que tu vois là, est son fils ! » Elle l’initiera à leur fois ancestrale, son école de vie est la nature, la respiration des arbres, le lever du soleil et son coucher… tout sauf l’homme qui détruit. Sa vie en plus de la Rouquine, c’est sa mère qu’il adore, son respect pour la vie difficile qu’elle subit, la baguette de grenadier que son père n’hésite pas à se servir contre lui, c’est son refus de rentrer dans le rang comme d’aller à l’école. Pages 176 et 177. Ali avait toujours su estimer l’âge des arbres, reconstituer leur histoire et distinguer leurs différentes espèces. D’où lui venait cette connaissance, mystère ! Aux dires des villageois, c’était la Rouquine qui lui avait transmis ses secrets, mais la vérité, c’est qu’il avait découvert par lui-même tout ce que recelaient les bois environnants, un monde qu’il avait touché du doigt et au milieu duquel il avait grandi, accumulant des connaissances en biologie des plantes et des arbres et glanant un savoir auquel n’accèdent en principe que les animaux sauvages.
Il essaie de ramper par à-coups, en s’aidant de ses coudes, et examine le terrain accidenté, rêvant de retrouver sa cabane. Il se rappelle comment il s’était posté au pied du tronc pour monter la garde quand Nahla était venue s’y réfugier, la nuit où ils avaient enterré son frère aîné. Il la surveillait, assise près de la paroi sans s’y adosser, les genoux rassemblés sur la poitrine, roulée en boule comme un hérisson. De temps à autre, il piquait du nez quelques instants, mais dès qu’il reprenait ses esprits, il se remettait à observer le dos bombé de sa mère. Il s’était tenu coi au pied de l’arbre, n’osant faire le moindre mouvement, et l’avait surveillée jusqu’à ce que le sommeil finisse par l’emporter.

À travers l’histoire d’Ali, on découvre la vie des petits villages syriens avant et pendant la guerre, le durcissement politique, religieux, les pertes de libertés, la pauvreté de plus en plus étendue, les disparitions des gens qui en se plient pas aux nouvelles règles ou qui tout simplement restent eux-mêmes…

Ce texte n’est que poésie, d’une écriture incroyable, Samar Yazbek manie les mots avec une habilité qui est telle que la guerre reste en second plan, alors qu’elle est le destin d’Ali. Elle nous fait monter dans les arbres, courir avec le vent, teindre les cheveux de la Rouquine, découvrir les rites hommes-femmes avec grâce. Elle fait ressortir toute la beauté de ce peuple massacré.

Je recopie ici, un passage de la quatrième de couverture, car je pense qu’il n’y pas de meilleurs mots pour le faire : « Samar Yazbek questionne avec force et poésie le lien entre l’homme et la nature dans une société rongée par la violence, qui détruit ce qu’elle a de plus sacré. Un grand texte sur la beauté et l’âpreté de l’existence ».

Ce livre m’a enchanté, transporté, malgré la rudesse de l’histoire. C’est magnifique !! Et toute mes félicitations aux traducteurs Ola Mehanna et khaled Osman.

Claude

Première page

Une toute petite feuille, si petite que ses cils visqueux l’empêchent de la voir dans l’éclat du soleil de midi.
Une petite feuille d’arbre, rien de plus. Une feuille d’arbre verte, nervurée, qui lui voile les yeux comme de la gaze lorsque lentement, péniblement, il remue les paupières. Une feuille d’arbre qui adhère à ses longs cils collés par la boue. Une feuille d’arbre qui l’empêche de voir distinctement, surtout avec ces grains de poussière qui nagent dans le liquide de ses yeux, lui causant irritation et douleur. S’il parvenait à reprendre le contrôle de ses paupières pour ouvrir les yeux, la feuille tomberait à l’intérieur de l’œil gauche.
Le monde entier se ramène à cette feuille. Il n’y a pas un bruit, pas une odeur. Quant à son autre œil, il ne le sent pas. Est-il seulement capable de voir ? Peut-être. Mais a-t-il même un corps ?

La demeure du vent, de Samar Yazbek, traduit du syrien par Ola Mehanna et Khaled Osman. Éditions Stock – la cosmopolite.

 

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28 février 2024

Problème canalblog

Marre... est un peu à la mode sur mon blog en ce moment !

Canalblog a dû changer certaines choses, et j'ai perdu tous mes contacts, mes blogs préférés, mes listes d'auteurs, de maisons d'éditions, d'écrivains etc... 

j'ai déjà fait cet article, mais il n'a pas été publié, par contre, j'ai essayé d'en publier un vide et ça a fonctionné, trouvez l'erreur.

Je ne suis pas en colère, je sais que le progrès demande des transformations, pour ma part j'aurai aimé être prévenue. Je n'ai donc plus vos adresses de sites, ni vos contacts, mon blog d'un jour sur l'autre est aléatoire, je peux lire un jour mes anciens messages et d'autres non.

Si vous le pouvez, je veux bien que vous m'envoyez un petit mot pour que je retrouve vos blogs.

Je n'avais pas conscience que j'aimais autant mon blog, aux lectures qui y figurent correspondent des pans de vie, et j'aimais depuis 2005 m'y replonger, et relire les billets. Bref, il faut rester positif, et espérer que Canalblog va tout me retrouver, et que ce billet arrivera à être posté !!!

à bientôt j'espère, 

Claude 

23 février 2024

NON mais des fois les librairies...

Bonjour,

Il m’est arrivé une chose que je trouve assez incroyable, enfin, rien non plus d’extraordinaire, mais qui demande à être raconté. Comme vous le savez la librairie où je choisissais, découvrais des petites perles etc. a fermé. Ce n’était pas la première fois, mais cette fois ce fut la dernière. Je ne reviendrai pas sur le sujet.

Il reste au Mans, deux grandes librairies et la fnac. Pour ne pas acheter sur un certain site, je vais soit à la Fnac soit dans l’une de ces librairies ou j’achète des livres d’occasion sur internet.

La semaine dernière, je remarque un livre que j’ai envie de lire dans une petite maison d’édition, La dernière Goutte, je vais à la Fnac, il n’est pas référencé, et aucun espoir de le commander, la dame me dit, il est juste référencé sur Amazon si vous voulez. Bon ok. Je regarde d’un peu plus près les étagères de livres, et je remarque qu’en fait, il n’y a pas de petites maisons d’éditions représentées ou vraiment très très peu. Encore ok. Pleine d’espoir, je vais à la grande librairie où me dis-je, avec son rez-de-chaussée et son étage de livres, je trouverai bien mon bonheur. Je vois une gentille dame, qui ne connaît pas le livre, qui regarde dans son ordinateur, et me dit c’est une petite maison d’édition. Oui, bien sûr, je le sais… Bref, pour faire court, si je souhaitais elle pouvait me commander le livre, mais j’aurai certainement des frais, et puis en commandant par elle, la maison d’édition gagnerait moins. J’ai ressenti comme un grand sentiment de la déranger… Et là, je n’ai pas commandé le livre, je suis restée très gentille, je me suis promenée dans leurs rayons, même constat qu’à la fnac. Je suis rentrée chez moi, je suis allée sur le site de la dernière goutte, j’ai commandé mon livre, j’ai raconté mon histoire. Et on m’a répondu super gentiment. Mon livre est arrivé cette semaine, avec une jolie carte postale.

En y réfléchissant de plus près, je me suis rendue compte que depuis la fermeture de ma librairie, lorsqu’il s’agit de livres édités dans de petites  maison d’éditions,  hors grande distribution, hors livres qui passent dans les émissions télévision, hors livres qui ont des supers critiques ou qui reçoivent des prix, je les commande pratiquement directement à la source.

Alors honnêtement, les libraires ont du mal, je le conçois très bien, mais là… dans certains cas il faut mettre un peu de la bonne volonté. Je pense que le travail du livre est un travail d’équipe, et si une partie de l’équipe n’accepte pas de jouer le jeu, c’est vraiment triste, et je pourrai même aller jusqu’à dire lamentable pour l’avenir du livre. Et pour nous tous, car chacun de nous à des goûts différents qui ne correspondent pas forcément à celui du troupeau.

PS : je ne suis pas non plus idiote, je sais que l’appât du gain, est et restera le plus fort.

C’était mon petit marre du moment  ;o)

 À bientôt

Claude

23 février 2024

L'hôtel des oiseaux

L’hôtel des oiseaux
Joyce Maynard

En nous présentant son personnage principal, Joyce Maynard nous entraîne dans le New-York des années 70, puis dans celui des années 90, pour terminer notre voyage en Amérique Latine.

 

En 1970, Joan n’a pas 10 ans, elle vit avec sa mère, une femme très instable. En 1970, elle vit avec un homme appartenant à un groupe de « terroristes amateurs ». Un jour, lors de sa fabrication une bombe artisanale explose, et Joan devient orpheline.

Sa grand-mère, pour la préserver l’emmène loin de New-York, lui fait changer de prénom, elle devient Aurélia, et de vie. Elle peut alors vivre normalement, protégée des journalistes ou tout autre personne voulant en savoir plus sur la mort de sa mère et de sa bande.

Devenue adulte, Aurélia vit un drame effroyable. Pour survivre, elle quitte tout, monte dans un bus sans savoir sa destination. Elle a juste son passeport, pas d’argent, pas de rechange. Elle se retrouve au milieu d’un groupe hétéroclite qui voyage dans le bus pour diverses raisons. Pour elle cela n’a pas d’importance, elle est vide, elle est là sans être là. Le bus passe la frontière mexicaine, puis continue plus loin.

Elle descend dans un petit village, situé près d’un lac au pied d’un volcan. Le paysage est grandiose, les gens semblent accueillants. Alors qu’elle cherche un endroit où se loger, un jeune enfant « guide », la conduit chez Leïla. Elle possède un hôtel de 4 chambres, entouré d’une nature luxuriante.

Leïla est une personne d’un certain âge, évanescente, qui a créé dans cet endroit un jardin incroyable. (Au fil de la progression de ma lecture, j’ai essayé de dessiner le jardin car il y a de très belles descriptions, mais je n’ai jamais eu assez de place sur ma feuille !)

Page 151. Un phénomène se produisait invariablement quand on se rendait à Lago La Paz la première fois. « Comme les premiers jours d’une histoire d’amour. On ne remarque que la beauté. Les oiseaux, les fleurs, les insectes », m’expliqua Leïla.
Je ressentais moi-même ce phénomène, tel un sort magique jeté sur la propriété, aussi enivrant qu’une fleur qui éclot la nuit. Et pas seulement sur la propriété où était situé l’hôtel, mais dans tout le village de La Esperanza : le rire des enfants le long du chemin, les petites filles qui ramassaient du bois pour le fourneau familial, les garçons qui faisaient rouler leur cerceau comme au siècle précédent. Les visages ridés des vieilles femmes qui vendaient du pain à la banane et les jeunes femmes en traje brodé de couleurs vives et sandales en plastique (même sur le terrain de basket), leur ceinture en perles serrée autour de leur taille étroite, leurs cheveux aussi brillants que du cuir verni. Et les bébés, bien sûr. Toujours eux, une fille portait une ceinture bien ajustée et l’année suivante  plus lâche, un châle enroulé autour d’elle (devant si elle allaitait, derrière pour marcher), et on n’apercevait qu’une touffe de cheveux ou même rien du tout.

Leïla ne pose pas de questions à Aurélia, elle l’accepte comme elle est, le temps passe et petit à petit une routine s’installe, elle commence à reprendre des repères.

Dans cet étonnant hôtel se succèdent toutes sortes de gens avec leurs riches histoires de vies, pour une nuit, pour un mois… tout dans cet endroit n’est que plénitude.

Au fil de ses progrès vis-à-vis de la vie, Aurélia se rend compte que l’hôtel est délabré, ce qui ne lui enlève pas la plénitude qu’il dégage. Du jour au lendemain, elle se retrouve seule à gérer le lieu, à le rénover, à chercher des solutions pour le faire fructifier et le sauver. Sauver l’hôtel ou redonner du sens à sa vie, ou les deux ? Le défi est de taille en tout cas.

 

Encore un livre qui nous entraîne dans les tréfonds de l’âme humaine, dans un monde où la nature est plus belle, plus intelligente que l’homme, même si la bonté existe, la haine, la jalousie, et le profit ont une bonne place !  Il met en exergue le poids de la « civilisation », le tourisme, sur la population locale, on y note les changements entre l’arrivée d’Aurélia et la fin du livre. Ce que je vous livre dans ce billet est la ligne directrice du roman, il y a bien entendu des beaucoup d’anecdotes, d’histoires parallèles.

En tout cas, j’ai trouvé cela bien écrit, le roman se lit vite, j’ai aimé me promener dans le jardin, sur le bord du lac, lire les discussions avec Leïla… et suivre la vie de cette femme a su tout quitter pour ne pas sombrer et à laisser faire la vie.

Claude

 

Première page

Une chose sur les temps difficiles

 

J’avais vingt-sept ans quand j’ai décidé de sauter du Golden Gate Bridge. L’après-midi j’avais une vie merveilleuse et, une demi-heure plus tard, je ne voulais plus que mourir.

J’ai pris un taxi. Je suis arrivée près du pont juste après le coucher du soleil. Il se dressait dans le brouillard avec cette magnifique teinte rouge que j’adorais, quand je m’intéressais encore à la couleur des choses et des ponts, lorsque je les traversais. À l’époque où je m’intéressais à tant de choses qui me semblaient à présent dénuées de sens.

Avant de quitter pour la dernière fois mon appartement, j’avais fourré un billet de cent dollars dans ma poche. Je l’ai donné au chauffeur. Attendre la monnaie était inutile.

Il y avait des touristes, bien sûr. Des voitures circulant dans les deux sens. Des parents avec leurs enfants dans des poussettes. J’avais été comme eux.

Un bateau passait sous le pont. De là où je me trouvais, me préparant à sauter, je l’ai regardé s’engager entre les piles. Des hommes lavaient le pont du bateau. Plus rien n’avait de sens.

L’hôtel des oiseaux, de Joyce Maynard, traduit l’anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni. Éditions Philippe Rey.

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2 janvier 2024

Les chants d’amour de Wood Place d’Honorée

Les chants d’amour de Wood Place
d’Honorée Fanonne Jeffers

 

J’ai lu ce livre il y a quelques mois, et je l’ai vraiment apprécié. Je n’ai malheureusement pas retrouvé mes notes, aussi mon billet sera très succinct par rapport à la richesse du texte.
Il est le premier roman d’Honorée Fanonne Jeffers, elle relate son histoire familiale au fil des siècles. Plus particulièrement l’histoire des femmes de la famille. Trois nations sont concernées, les Creeks, les Africains et les colons américains.

Aley, la jeune femme qui écrit, a passé tous ses étés en famille chez son arrière-grand-mère et sa grand-mère à Chicasetta en Georgie. Chaque été, elle écoute les femmes de la famille raconter leurs histoires et celle de celles qui les ont précédées. Ce qui la marquera profondément et la passionnera, aussi, devenue étudiante, elle prendra sa famille comme sujet de thèse. 4ème de couverture, extrait. Mais les femmes des générations précédentes lui chantent aussi leurs terribles récits. Pour accomplir ce qui leur a été refusé et réconcilier sa propre identité fracturée, Ailey devra plonger dans le passé de sa famille : une histoire d’oppression et de résistance, de servitude et d’indépendance, de cruauté et de résilience qui cristallise l’identité même des États-Unis.

Au commencement de son histoire, il y a Nila Wind, une jeune femme qui vit au sein de sa famille Creek et Dylan Cornell, un jeune noir qui arriva un jour dans la tribu. Nous étions dans les années 1760. Pages 20 et 21. Le jeune homme qui deviendrait le grand-père de Micco avait peut-être dix-huit ou dix-neuf ans lorsqu’il apparut près de la grande butte marquant l’entrée du Lieu-au-Milieu-des-Grands-Arbres. Le jeune homme n’était pas chaussé, et la peau de ses pieds était épaisse et rêche. Sa chemise et son pantalon gris étaient froissés, et même de loin ses vêtements sentaient le moisi – ce qui était logique, car lorsqu’on lui demanda en anglais comment il était arrivé au village, il répondit simplement qu’il avait marché jusqu’à une rivière. Là, il s’était rendu compte qu’il avait faim, et en essayant d’attraper un poisson-chat près de la berge, il était tombé à l’eau. Il parlait avec force grands gestes et moues expressions – s’animant encore plus en racontant le moment où il était tombé dans la rivière -, et les villageois rirent. Cependant, il ne voulait offenser personne. Et il rit avec eux…
Puis il y eut d’autres échanges et d’autres questions. Mais lorsque le jeune homme leur raconta qu’un individu très petit, de la taille d’un enfant, l’avait aidé à sortir de la rivière et emmené dans les bois jusqu’à la butte à l’entrée du village avant de disparaître brusquement, l’ancien regarda de nouveau sa cohorte, cette fois l’air étonné. Alors là, c’était une tout autre histoire. L’ancien et sa cohorte se regroupèrent pour se parler à voix basse dans leur langue tandis que le jeune homme souriait en hochant la tête comme s’il comprenait les bribes de mots qui lui parvenaient. Il ne comprenait rien du tout. À voix basse les anciens se demandaient ce que le jeune homme avait voulu dire lorsqu’il avait affirmé se diriger vers le « sud ».
S’ils s’interrogèrent là-dessus, c’était parce que le jeune homme qui s’était retrouvé dans leur village était un Nègre.

La ségrégation fait rage aux États-Unis, les familles sont séparées, certaines ont de la chance d’autres non. Ainsi se fait et se défait la famille d’Ailey.

Devenue étudiante, elle décide d’approfondir son histoire, elle se passionnera pour ses femmes, celles qui ont fait l’histoire, celles qui se sont sacrifiées, celles qui se sont révoltées…
Ce livre m’a emporté dans différentes périodes de l’histoire américaine, où les racines de la prédominance blanche a débuté. Par moments glaçants, et d’autres remplis d’émotions les chapitres se succèdent riches d’histoire et d’histoires. Il est d’une richesse inouïe, j’ai dévoré les 900 pages en très peu de temps.  L’arbre généalogique en début de livre est indispensable. L’auteure narre en parallèle sa vie et celle de sa lignée, aussi, quelques fois il faut se réapproprier les noms et les rangs !

Claude

Première page
Nous sommes le sol, le territoire. La langue qui se délie et trébuche sur les noms des morts en osant raconter les histoires de la lignée d’une femme. Son peuple et ses souillures, ses arbres, son eau.
Nous connaissions cette femme avant qu’elle ne devienne femme. Nous la connaissions avant sa naissance : nous avons chanté alors et nous chantons encore.
Nous avons rappelé cette femme à travers les pages jusqu’à notre lieu d’origine, jusqu’aux brillants bourgeons qui naissent avec les saisons. Nous connaissons son peuple mêlé. Nous savons qu’au commencement ils étaient versets sacrés, psalmodiés. Et maintenant, nous remontons à travers les siècles jusqu’au début de sa lignée, dans un village appelé Le Lieu-au-Milieu-des-Grands-Arbres. Et nous commençons avec un garçon, l’enfant qui changera tout sur notre terre.
Attendez.
Vous avez des questions, nous le savons. Par exemple, si nous racontons l’histoire de la lignée d’une femme, pourquoi commencer par un garçon ? Et, aussi surprenant que cela puisse vous sembler, nous répondrons que nous aurions pu commencer par un chant d’oiseau ou un épi de maïs, avec une pomme de pin ou une vrille de verdure. Que nous les évoquions ou pas, tous ces éléments nous ramènent à la lignée de cette femme. Cependant, comme notre histoire n’est pas linéaire – nous cheminerons dans divers endroits ici et de l’autre côté de l’eau -, nous devons suivre le fil du temps. Suivre celui qui, le premier, passa dans un endroit précis au cœur d’un bois, devant une grande butte herbeuse – et nous nous interrogeons aussi, car malgré notre pouvoir, nous ne pouvons tout savoir.


Les chants d’amour de Wood Place, d’honoré Fanonne Jeffers, traduit de l’américain par Emmanuelle et Philippe Aronson. Éditions les escales.

 

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2 janvier 2024

Je vous souhaite à toutes et à tous, mes bons

Je vous souhaite à toutes et à tous, mes bons vœux pour cette nouvelle année.

2023 n’a pas été une année très productive sur mon blog, j’en suis désolée et j’espère que 2024 sera plus prolifique. Bien souvent, après la journée de travail, j’ai plus tendance à me mettre dans mon livre, plutôt que de me remettre sur l’ordinateur, mais il faudrait au moins que j’écrive mes billets sur papier et les recopier le week-end, qui sait, ce sera peut-être le cas cette année…

À bientôt,

Claude

17 novembre 2023

Le garçon du dehors

Le garçon du dehors
de Jeanine Cummins

 

Dès les premières lignes de ce livre, j’ai su qu’il était pour moi, je suis rentrée immédiatement dans son univers. Un univers que je ne connaissais pas, celui des travellers Irlandais, ces gens qui parcourent sans cessent les routes. La plume si je puis dire de Jeanine Cummins m’y a bien aidé ! Son écriture est fluide, elle décrit avec aisance les personnages, lieux, actions, sentiments, ses mots sont justes, le tout est parfois poétique.
Page 16. Dans une des rares nuits sèches de l’été Irlandais, quand j’avais sept ans, les sédentaires sont venus chercher Grand-Pa. On pionçait tous quand leurs fichues lampes frontales m’ont balayé la figure dans le noir et qu’elles ont projeté leurs lune rondes et aveuglantes sur la toile de la tente au-dessus de moi. J’ouvrais des mirettes aussi grandes que ces cercles lumineux, mais j’ai pas bougé une oreille. Papa ronflait toujours à côté de moi quand j’ai entendu la portière de la voiture s’ouvrir, puis deux pieds se planter dans le gravier de la route. Le conducteur a laissé le moteur tourner. « Papa, j’ai murmuré en lui donnant un coup de coude pour le réveiller. Y a quelqu’un. »
Il s’est redressé en vitesse et en silence, dégageant ses jambes de sous la couverture pour s’accroupir à côté de moi. Il a posé un doigt sur ses lèvres en me faisant signe de déguerpir dans le coin le plus éloigné, où j’éviterais peut-être de recevoir un caillou sur la tête, au cas où on en serait bombardés.
Ces lampes frontales, c’était jamais synonyme de bonnes nouvelles. Si c’était des gardai, ils nous diraient juste de dégager. Ils nous y encourageraient. Ils éteindraient peut-être même le feu en y envoyant de la terre à coups de pied et en élevant leurs voix nocturnes aux accents de péquenauds.
Mais si, à la place, c’était des sédentaires bagarreurs, qui rentraient chez eux en zigzaguant après une nuit de biture, y aurait peut-être des mots plus pâteux, bafouillés et vicieux. Une volé de cailloux, pour nous rappeler de ne pas rester trop longtemps dans leur ville. Y aurait peut-être…
« Les Hurley ? » La voix était proche de l’ouverture.

Elle articulait bien. Aucune trace d’hostilité. La voix était accroupie, aussi calme que Papa, qui a soulevé le rabat de la tente, comme les couvercles des œilletons de ces fichues lampes frontales, et maintenant elles brillaient directement à l’intérieur, et on pouvait pas se cacher de ces rayons-là. On était éclairé pareil qu’en plein jour. Papa s’est protégé les yeux d’une main, et j’ai vu le sédentaire, courbé au niveau de la taille. Il était mince, jeune. Il a demandé : « C’est vous qui campez là, les Hurley ? J’ai besoin de Stephen Hurley. »
Sa voix avait quelque chose de désespéré, un tremblement.
« Vous êtes qui ? 
- Je m’appelle Joe Burke, et mon père, c’est Eamonn Burke, d’en haut du vallon, et on a une jument très malade, qui va avoir un petit. » C’était rien qu’un gamin, seize ans peut-être, les mots culbutaient hors de sa bouche, éraillés. Quand Papa a émergé dans l’ouverture, Joe Burke a reculé pour lui faire de la place. Mon père avait minimum une tête de plus que lui, et il était deux fois plus large.
« S’il vous plaît, on a besoin d’aide, a repris le gamin. Bous être Stephen Hurley ? »
Mais Papa l’avait déjà dépassé pour aller se courber devant la tente de Grand-Pa. Trois minutes plus tard, j’étais assis à l’arrière de la berline de Joe Burke, la sacoche noire magique de Grand-Pa sur les genoux.

L’histoire se situe en 1959, un groupe de travellers irlandais composé de trois roulottes tirées par des chevaux sillonne le pays.  (« travellers » ou « peuple marchant », aussi appelés péjorativement « tinkers » (les rétameurs), sont une catégorie nomade de la population de ce pays. Ils se différencient des Roms et des gitans car ils sont de souche autochtone. Déf. Page 9)Il est composé des grands-parents dont le grand-père est le chef du clan, de leurs deux fils et de leurs petits-enfants. Par chance pour se groupe, le grand-père est reconnu comme un grand vétérinaire par les éleveurs, ce qui leur vaut un peu moins de problèmes avec les autochtones. L’histoire que nous fait découvrir Jeanine Cummins est celle de Christopher, 11 ans, orphelin de mère, qui vénère son grand-père, qui est pour lui son confident, son repère, il le seconde d’ailleurs lorsqu’il va soigner les animaux dans les fermes. Il le respect comme il respect son père. Découvrir la vie rude de ces gens, leur travail, leur mentalité, leur joie autour du feu le soir est un réel plaisir, les mots nous entraînent avec eux.

Le clan ne reste jamais plus de 2 ou 3 jours dans le même endroit, il sillonne le pays, jusqu’au jour où le grand-père meurt. Il se passe alors un événement qui bouleverse tout (je ne peux vous le révéler, seulement que cela changera à jamais la vie de Christopher). L’auteure dépeint magnifiquement les funérailles, les clans qui viennent de partout se rassembler pour le dernier hommage, les roulottes décorées, le respect au mort et à la famille, le défilé incessant des roulottes le long de la route et des villages, les regards d’hostilité des sédentaires lorsqu’ils passent…

Le groupe décide de s’arrêter quelques mois dans un village pour que Christopher et son cousin Martin, puissent faire leur communion et aller un peu à l’école. Connaissant l’animosité des locaux à leur égard, ils appréhendent de se retrouver chaque jour confronter à des situations difficiles. Heureusement pour Martin qui aime lire, une libraire lui prêtera des livres et lui permettra de penser que tous ne sont pas contre eux.

Mais avant tout, il faut s’inscrire à l’école, et pour cela, il faut un certificat de naissance. Alors que la mère de Martin a le sien, le père de Christopher doit écrire un courrier pour se le procurer. Le jeune garçon ne comprend pas, pose des questions qui resteront sans réponses. Puis, il trouve un vieux journal, lors de la mort du grand-père, il avait trouvé une photo, et les questions se multiplient… Pour lui commencera une quête.

C’est un superbe roman d’apprentissage, d’amour filial et de chagrins, de partage, une plongée dans un univers qui nous paraît rude et inaccessible à la fois. Un roman qui nous fait découvrir la vie des pavees (travellers), un monde que nous ne connaissons pas, nous dans nos maisons. Pour ma part, j’ai adoré me promener sur la route avec eux tous, ce roman, je n’avais pas envie de le quitter.

Claude

 Première  page
Prologue

Irlande, 1959

Je rêvais de chevaux violets. Moi sur l’un d’eux et Martin sur l’autre, et on montait à cru et on faisait la course. C’était pas des poneys gitans pie lents et costauds comme on en avait presque tous à l’époque en Irlande, faits pour tirer nos maisons-roulottes partout où on allait. Non, dans ce rêve, moi et Martin, on faisait la course sur des pur-sang foudroyants comme dans une vraie course, du genre de celles de Punchestown, à Dublin. Et les gens agitaient les drapeaux aux couleurs de leurs favoris en rugissant, sans se soucier qu’on était des travellers. Ils nous adoraient quand même. Nos étalons violets faisaient au moins seize mains de haut, et on était si rapides là-dessus qu’on s’envolait presque.

Le garçon du dehors, de Jeanine Cummins traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Auché. Éditions Philipe Rey.

 

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26 août 2023

Lucifer

Lucifer
de Connie Palmen

Ce livre, j’ai cru que je ne le finirai jamais ! Non pas que je ne l’aimais pas, car si cela avait été le cas, il ne serait pas sur mon blog, mais parce que je l’avais commencé deux jours avant mon opération et que je n’ai pu le reprendre que 3 mois après ! J’ai rarement eu des moments où je n’étais pas capable de lire, et je vous confirme que c’est atroce !!! Mais bon, tout cela est derrière moi, et je l’ai enfin fini, et lu quelques-uns depuis cet incident

De Connie Palmen j’avais lu « Ton histoire, mon histoire » et « Tout à vous », j’avais tout aimé. Elle est malheureusement pu traduite en France.

Mon billet sera assez succinct car il y a un moment que je l’ai fini, mais je tiens à vous le présenter, il décrit un monde particulier.

Lucifer, nous emmène dans les milieux « intellectuels », « artistiques », du début des années 1980, à Amsterdam.

Une jeune romancière à la recherche d’un sujet de roman, lit par hasard un faire-part de décès qui l’intrigue. Elle décide donc, quelques décennies plus tard de retrouver la famille, les ami(es) de cette femme, Clara Wevers, actrice, mannequin, tombée d’un muret en Grèce sous les yeux de son mari en 1981.

Nous allons rentrer dans ce « monde » des « peoples »… Nous découvrons des protagonistes de l’histoire, leurs excès, leurs caractères, leurs caprices, leurs travaux, leurs façons de penser et de vivre. La vie nocturne Amstellodamoise est fort bien présentée, pour ma part, je crois qu’elle est la même dans toute l’Europe lorsque l’argent et le milieu laissent à penser aux gens qu’ils sont supérieurs aux autres et qu’ils peuvent tout se permettre, penser et juger ! sont-ils plus heureux ? L’illusion suffit-elle ?...

La jeune romancière, rencontre donc dans un premier temps, les amis-es de Clara et Lucas Loos. Page 15. Certaines personnes sont capables d’embrasser d’un seul regard leur environnement, mais ce n’est pas mon cas. Il me faut d’abord surmonter ma timidité et la légère aversion que suscitent en moi les rencontres inopinées pour pouvoir donner suite à l’appel du monde et me lancer dans son sillage. En proie à cette contradiction-là, je dus, pour traverser la rue, fixer du regard l’homme dont la main levée m’appelait.
C’est ainsi que le 26 juillet 2006, je me dirigeai vers ce petit groupe.
J’ignorais à ce moment-là que je mettais le cap sur mon histoire et que là, sur une terrasse amstellodamoise, débutait la quête qui allait me tenir en haleine une année entière. Qui m’emmènerait le long des abîmes d’un mariage mouvementé et d’une époque qui ne l’étais pas moins. En quête du sens d’une phrase isolée dans un faire-part de décès et de la démesure d’un art qui parvient à faire croire même un athée à l’existence de Dieu : la musique
« Mettre le cap sur une histoire » est d’ailleurs une expression trompeuse ; comme si une histoire se trouvait par terre, toute prête, pour qui voudra la ramasser. Les histoires sont fabriquées, et c’est ce qui les rend si intéressantes. Tout ce qui est fabriqué trahit son auteur.

Le roman se joue en plusieurs actes. Tout d’abord, la jeune romancière rencontre le groupe qui était proche du couple, chacun parlera de sa relation avec eux, chacun a sa façon d’interpréter et de se souvenir. Clara était mannequin, et Lucas compositeur. Puis, ils raconteront de quelles manières ils avaient appris la mort tragique de Clara, leurs incompréhensions, leurs interprétations, l’étrange réaction de Lucas… Page 21. La question de Thomas est beaucoup plus intéressante, c’est une question qui nous tient à cœur à tous, dans des métiers où tout tourne autour de la séduction. La question à l’ordre du jour est celle de savoir s’il y a une différence entre un menteur et un fabulateur, et si oui, laquelle ?
- Le génie, dit Thomas entre ses dents.
- Est-ce que Lucas Loos a tué sa femme ce fameux soir ? Sa femme s’est-elle suicidée ce soir-là ? S’agit-il d’un tragique accident ? Dans tous les cas, Lucas a-t-il menti ou a-t-il affabulé ?
- Ou dit la vérité ? compléta l’artiste, têtu.
- Pourquoi faut-il que l’hypothèse la moins intéressante vienne de toi ? » dit Mica en faisant la moue.
Bien que le Prince dût se contenir pour ne pas éclater de rire, il vint  pour la deuxième fois à la rescousse de son ami.
- Mica, Mica, bien que tu voues une  passion au mensonge et à la tromperie, au drame et au théâtre, tu n’aimes pas les gens qui mentent et qui trompent, les acteurs, les fats emplis de théâtralité qu’une amibe que tu es mariée avec lui.
- Mais j’adore le théâtre, mon métier. C’est la plus beau métier qui soit !

Je vous laisse découvrir les personnages, c’est intéressant, drôle et pitoyable à la fois. Ils sont plus caricaturaux les uns des autres, mais bien réels pourtant, l’histoire est très bien construite, on ressent l’atmosphère, les tensions, les sous-entendus, les amitiés réelles ou non, on imagine aisément ce monde superficiel dans lequel les joueurs oublient qu’ils sont de simples êtres humains.        

« Connie Palmen excelle à recréer les portraits psychologiques de ces nombreux personnages ; elle fait vivre ici, outre le couple infernal Lucas-Clara, toute la société intellectuelle des années 1980, car ce drame bien réel et ici revisité hante encore aujourd’hui l’imaginaire d’Amsterdam. Amour, narcissisme, fragilité et séduction, crime ou autodestruction sont autant de motifs de ce livre choral dans lequel la virtuosité du roman se conjugue avec la puissance d’une tragédie.

 C’est tout un voyage dans le temps, dans un monde et dans les comportements de chacun.
Claude

Première page
Il y a vingt-quatre ans, j’ai lu une phrase dans le journal. Cette histoire parle de cette phrase, ou plutôt de la quête de sa signification. Si elle s’était trouvée au milieu d’autres phrases, dans une critique de théâtre ou même dans un essai sur une quelconque star, elle ne m’aurait pas poursuivie pendant vingt-quatre ans. À coup sûr, dès la première lecture, elle aurait été dépouillée de son mystère par les phrases qui l’auraient accompagnée, donnant un contour à sa signification en fournissant une interprétation qui exclue les autres. Mais ce n’était pas le cas. C’était une phrase isolée. Cela dit, c’est son contexte qui lui conférait ce caractère énigmatique qui fait qu’elle ne m’a plus jamais lâchée.
Elle s’inscrivait dans un cadre noir.
Elle se trouvait en haut d’un faire-part de décès dans le journal.
Ce sont les vivants qui font part de la mort aux vivants. Pour la rendre publique, ils s’enferment provisoirement à l’intérieur du cadre d’un faire-part de décès en compagnie d’un mort. Le nom de l’homme à qui, durant l’été 1981, échut la lourde tâche de devoir annoncer la mort de sa femme était alors connu de tout un chacun dans le monde de l’art. La phrase dans son cadre, associée à  un nom auquel plusieurs histoires donnaient une couleur particulière, fut tirée l’été 2055 du long sommeil de la mémoire.

Lucifer, de Connie Palmen, traduit du néerlandais par Davide Goldberg. Éditions Actes Sud.

 

 

lucifer

25 août 2023

Fougères de l’été sur la ville Emmanuelle Riva je

Fougères de l’été sur la ville
Emmanuelle Riva

 

je vois ma jeunesse
dans les provisions de mon corps
comme au fond d’un grenier
des graines toujours fraîches
dans un chapeau de vacances

mon désir se perd
dans le mystère de la création

je vois le présent
dans les provisions de mon cœur
je prends mes bains de soleil
à la surface du temps

tu es cheval de chair
dans ma chair
nos sourires s’enjôlent
au confluent des vagues

notre vieillesse se trouve
dans les provisions de ma tête
je mangerai l’Esprit
quand les fruits seront mûrs

les abeilles du sang
dessinent la formation
du chant des légionnaires

nos bras agrandissent
la circonférence de l’amour

Juillet 1972

 

S’éteindre de sourires
être à ne plus finir
mon pauvre corps
je l’ai mis debout
à côté de moi
restes d’un beffroi
sur l’âme de la plaine.

1986

 

Sfrezzature*

Tu enfantes le jour
au sortir de la tombe
l’aube te soulève
tu entres dans la mer
et te mets sous la dent
l’or cassé du soleil

Irruption de fleur
Hexagone
parfum de langue
initiale
sur jachère ingénue
embardée du départ
par l’œsophage
de l’Infini
l’hors d’haleine
de l’Amour-

Emmanuelle Riva

*insolence élégante

 

Si vous me suivez, vous savez que j’aimais beaucoup Emmanuelle Riva, cet après-midi, en passant dans ma bibliothèque ce livre m’a dit : « Stop, c’est le temps de la pause ;o) »
Ces poèmes sont tirés du livre :

C’est Délit-Cieux ! Entrer en confidence, d’Emmanuelle Riva, entretien avec Arnaud Schwartz, suivi des poèmes d’Emmanuelle Riva. Aux éditions Bayard.

Claude

 

riva_2

21 août 2023

Une fin heureuse

 Une fin heureuse
de Maren Uthaug

Quel livre étrange… par moment un peu dérangeant, et en même temps je n’ai pas pu m’arrêter une fois que je l’ai commencé !

Pour résumer l’histoire le plus simplement possible. Nicolas est un jeune veuf, père de deux enfants très difficiles, et à pour mère une personne acariâtre. Il est le dernier d’une dynastie de croque-morts. Pour l’instant tout va assez bien. Il faut également dire qu’il est le fruit d’une lignée de personnages plus étranges les uns des autres. 7 générations de personnages rocambolesques travaillant avec et pour les morts.

Au fil des pages, l’auteure essaie de nous faire comprendre pourquoi Nicolas est tel qu’il est en nous faisant découvrir sa lignée sur 7 générations. En alternant avec les ancêtres, elle nous mène de plus en plus précisément dans les problèmes et obsessions du dernier de la lignée.

Ainsi, nous commençons par découvrir Christian Ier qui échoue lors d’un naufrage sur une île bien spéciale, où il épousera Corail, qui a des dons bien spéciaux eux aussi. Une île me direz-vous, le paradis ! Mais derrière chaque paradis il y a un hic… et Christian Ier du nom, se donnera une tâche bien difficile mais venue du cœur : accompagner les bébés dans la mort. Et voilà les premiers pas de la dynastie franchir le travail avec les morts ! Page 22. Il fallut un certain temps avant que Christian I ne prenne conscience que la moitié des ventres de femmes rebondis qu’il voyait sur l’île ne donnaient pas d’enfants. Que les mères, au lieu de mettre leur nourrisson au sein le couchaient le visage contre terre pour qu’il s’étouffe. Certaines lui remplissaient d’herbe les narines et la bouche, de manière à ce que la vie ait plus vite fait de s’enfuir. On jetait ensuite le petit corps inerte dans un trou que l’on recouvrait d’une épaisse couche de terre. Personne ne pleurait, personne ne chantait. Dans sa foi fraîchement retrouvée, Christian I était consterné que les Tikopiens ne voient dans les nouveau-nés que des êtres humains en puissance, et que les éliminer revienne à interrompre un accouplement.

Tradition, qui fera fuir Christian II de son île pour sauver une vie. Après maintes aventures, il se retrouvera à Copenhague, se servira de son savoir « funéraire », saura étudier les habitudes des danois, et à force de travail ouvrira sa propre maison funéraire. Page 46. Sur l’océan, les nuits étaient froides et les journées torrides. Christian II recueillait dans l’écuelle destinée aux appâts les quelques gouttes de pluie qui tombaient, mais ce n’était pas assez. La gorge lui brûlait, sa langue enflait, il avait du mal à penser à autre chose qu’à étancher sa soif. L’eau, la seule chose qu’il puisse voir, était aussi la seule à lui manquer. Une situation absurde que nous pouvons trouver drôle, nous qui n’avons jamais souffert de la soif en pleine mer.

Son fils, Christian III, fit évoluer son commerce vers l’incinération, qui prit du recul par rapport à son père, vit son intérêt à faire évoluer le « commerce ».  Les mœurs évoluent, et de plus en plus de personnes veulent être incinérées, ce qui arrange bien Christian III. Son fils Christian IV sera l’incompris, enfin, cela n’engage que moi. Il avait la particularité de voir et de pouvoir parler aux défunts. Sa famille et les gens en général l’ont toujours pris pour un marginal qui parlait tout seul, sauf que ce n’était pas le cas, toute sa vie il a été accompagné, a connu l’amour… oui oui…. Page199. Christian IV n’était pas comme les autres Christian. Son originalité donnait dans un genre très différent. Par exemple, il prétendait se souvenir de sa propre naissance. Et avant cela, d’avoir entendu le cœur de sa mère battre au même rythme que le sien, et la voix paternelle résonner à travers un édredon de liquide amniotique. Il se remémorait ce qu’il avait ressenti quand le ventre qui l’abritait avait commencé à se contracter, l’insoutenable angoisse qui s’était emparée de son âme encore immature, et comment il avait soudain compris que sa mère avait l’intention de l’expulser.

Son fils Christian V est obsédé par l’ordre, les calculs, il est veuf et vit seul avec sa fille Lone Helle, qui se fera appeler Nana. C’est en fait la mère de Nicolas. C’est une femme acariâtre, qui ne vit que pour son travail et son amie.

Nicolas qui est « l’héritier » de cette lignée en subit les conséquences, dans sa propre différence, et dans celles de ses enfants ! Quand il en prend vraiment conscience, il décide d’agir, de frapper un grand coup !  Pour pouvoir le faire, il a besoin de se raconter, car cette histoire n’a jamais été écrite mais transmise oralement. Il se demande si une dynastie qui ne vit que de morts depuis des siècles peut avoir une fin heureuse ?

Je ne connaissais pas du tout Maren Uthaug, elle nous entraîne dans une saga en la ponctuant d’humour noir et de provocations, et heureusement, car il y a des moments un peu difficiles. C’et un livre que j’ai lu en très peu de temps, une fois partie, j’ai eu du mal à m’arrêter. Il faut noter aussi, qu’à chaque génération, l’auteure note l’arbre généalogique, ce qui aide par moment.

Claude

Première page

C’est en 1986 que le contact d’une peau froide m’a fait vibrer pour la première fois. J’avais fêté mes quatorze ans deux semaines plus tôt et n’avais encore jamais envisagé ce genre de choses. J’ai vite compris que c’était un vice que je porterais seul. À qui pourrais-je me confier ? Et si je m’y risquais, comment exprimer mon désir sans passer pour l’être le plus ignoble de cette planète ? Contrairement à beaucoup de déviants, moi et les gens de mon espèce n’avons pas de communauté. Il n’y a pas de bistro ni boîte de nuit qui nous sont réservés, ni thérapie de groupe où nous pourrions nous errer les coudes face à toutes nos difficultés. Évidemment, c’est parce que c’est interdit. Mais ça a beau être interdit, c’est un fait.
Internet nous a facilité la vie, et pourtant je n’aime pas m’en servir. Je dois bien admettre qu’il m’est arrivé plus d’une fois de m’asseoir derrière mon écran, enfermé dans ma chambre, mais à chaque fois, j’ai été envahi d’un tel sentiment de honte que j ai eu du mal à finir ma journée normalement.

Une fin heureuse de maren Uthaug, traduit du danois par Françoise et Marina Heide. Éditions Gallmeister.

      

une fin heureuse

26 juillet 2023

Nos silences sont immenses

Nos silences sont immenses
de Sarah Ghoula

 

Le titre de ce roman est déjà très poétique, il annonce un livre d’une très grande délicatesse. L’histoire d’une femme qui porte en elle le sentiment du rejet, de la solitude et du devoir à accomplir. Tout cela dans un climat où l’Algérie colonisée commence à murmurer…
Ce livre n’est pas seulement la vie d’une femme, il est également celui de la transmission des coutumes, des changements. Magnifique.

Au début du livre, Zohra vit dans une mansarde, c’est une vieille femme silencieuse, elle soigne les âmes et les corps dans ce pays d’adoption. Ses silences sont mystérieux, il y a tant de choses derrière… pour essayer de les comprendre, il faut revenir à sa source, à sa naissance dans ce petit village que le sable balaie à tout moment.
Zohra a plusieurs particularités, elle est venue au monde sans pleurer, elle est la dixième fille, très différentes des 9 aînées, petite, malingre, pas belle, avec des yeux vairons. Elle fait un peu peur, même à sa mère.  Elle ne connaîtra pas son père, mort avant sa naissance.
Elle vivote jusqu’au jour où elle croise le regard « de la folle du village » qui voit en elle un potentiel infini, et l’invite à guérir les gens. Page 28. Elle se tenait entre le soleil et Zohra, et face à la petite fille, l’ombre de son corps s’étirait infiniment et formait un aplat oblong sur la terre poussiéreuse. Elle se pencha sur Zohra et en lui prenant les mains, elle poussa un cri de folle, un cri enthousiaste, étrange et délicieusement beau à la fois : « Tes mains, tes mains, haha, tes mains ma petites, elles soigneront ! Prends les plantes, elles sont pour toi. Prends-les, tu as le droit, et cours le dire à ta mère. Je la connais, je la connais la maudite Salma. Sa malédiction est tombée avec toi ! Haha ! Cours et dis-lui ! Dis-lui qu’elle n’est plus maudite.  À partir de cet instant, Zohra n’aura d’autre objectif, même si sa mère s’y oppose, et qu’elle se retrouve devant des choix difficiles.
Page 67. Un jour de printemps, au lendemain d’une tempête de sable qui avait presque enterré les plus petites maisonnées du village, une jeune femme pénétra dans la chambre de la guérisseuse. Elle avait la peau hâlée de celles qui travaillent sans répit au soleil et la peau des pieds fendue de celles qui portent des jarres trop lourdes sur le sommet de leur tête. En faisant glisser sa melhfa sur ses épaules, elle découvrit un corps de femme émacié, des cheveux négligemment retenus dans un foulard noir et des cernes opaques qui assombrissaient plus encore ses yeux ternes.
Elle s’installa devant Zohra, u peu ma à l’aise de devoir s’épancher devant une enfant plus jeune qu’elle. On lui avait tant vanté ses mérites qu’elle s’était décidée à marcher près d’une demi-journée pour consulter, car peut-être que cette guérisseuse réussirait à la soulager ne serait-ce qu’un court moment.

C’est un livre très riche, il faut aller au-delà de l’histoire. Le style de Sarah Ghoula est magnifique, c’est son premier roman, elle décrit les gens, le pays, le sable d’une telle justesse que tout en devient poésie.

 

Claude

Première  page

Partie I Nuit bleue

Ce serait trop long de vous dire comment nous en sommes arrivés là, la vieille Zohra, silencieuse sur son canapé aux couleurs passées, kawthar, en train de dormir, comme un pauvre chien, à même le sol, dans sa veste en jean d’homme, trop grande pour elle, trop usée aussi, Sabah Fakhri, qui, depuis le vieux tourne-disque, chantait la nuit, uniquement la nuit et toute la profondeur de la nuit arabe, Samak, le poisson rouge, qui tournait en rond dans le lavabo rose de Madame Zohra, sourd aux clameurs lancées par le public ardent de l’enregistrement de 1973, et moi, là, avec mon bol de lait chaud et les mains bleues d’avoir été lavées à la javel et à l’eau glacée.

 

Nos silences sont immenses de Sarah Ghoula, aux éditions FACES CACHÉES.

 

Capture d’écran 2023-07-26 180021

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