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De Bloomsbury en passant par Court green...
9 juillet 2021

Solak

Solak
de Caroline Hinault

Ce livre nous fait frissonner non seulement par son climat mais aussi par son atmosphère pesante, du lieu et de l’histoire. Il nous hypnotise.

Trois hommes, deux militaires et un scientifique vivent sur une base militaire du Pôle Nord, le quatrième s’est suicidé quelques mois auparavant. On ne sait rien des militaires, si ce n’est qu’ils ne sont pas là par hasard. Lors du réapprovisionnement de la base, un jeune muet est télé treuillé pour remplacer le mort. Ceux de la base doivent alors le préparer. Page 34. D’abord, y a ce que j’appelle les dangers blancs, j’ai expliqué. Pour l’instant, t’as encore rien vu du vrai froid, mais quand l’hiver et la grande Nuit vont tomber, faut bien que tu comprennes que c’est une grande claque dans ta gueule de tendron, comme si Dieu te collait une beigne parfum menthe glacée tu comprends ? Il a hoché la tête. Bon. D’abord, il faut jamais marcher trop vite. Jamais. Pour pas glisser. C’est la première règle. Toujours savoir où tu mets les pieds, toujours, et avoir de la lumière avec toi, toujours. Te méfier des congères, des crevasses, des failles, des trous d’eau, toutes les chausse-trappes de la banquise, les deviner dans l’obscurité. Anticiper. Pas te blesser tout court. Tant qu’il fait jour pendant quelques semaines encore, je te ferai faire le tour du propriétaire. Bien sûr, on a un minimum de matériel, des calmants, des attelles, de la morphine, quelques instruments chirurgicaux d’urgence mais à part une formation de base, Roq et moi on n’est pas franchement des as de la couture. Y a peut-être Grizzly qui s’y connaît un peu mieux en corps humain, rapport à ses études, mais c’est rien que de la théorie et je suis pas sûr qu’il tournerait pas de l’œil si l’un d’entre nous s’ouvrait la cuisse à la hache. Des entorses, je m’en suis déjà fait, en vingt ans de Solak. Mais si l’un de nous décide de se faire une fracture ouverte, c’est autre chose, j’ose pas imaginer ce que ça donnerait si Roq devait me faire un ourlet à la couenne. …

… Si on a la chance de pas crever de froid ou dans une crevasse, l’autre danger blanc, plus rare, mais qu’il faut pas oublier quand même, c’est le Pater. L’ours blanc.

La vie est ponctuée par les saisons, 6 mois de lumière, pendant lesquels ils réparent, chassent, font des réserves, préparent la Longue Nuit. Pas de lumière naturelle pendant des mois, le temps s’arrête, les sorties sont limitées, les caractères se dévoilent, la violence qui déjà est sous-jacente ne demande qu’à exploser. La longue nuit où l’ennui appelle l’alcool. La longue nuit qui rend la base explosive. Page 95. Dans la pièce, il y avait  plus une once de chaleur. À la place, le froid était revenu au galop, un embâcle surprise qui nous avait figés sur place parce qu’il était pas question de fuir ce qu’on devinait terrible et qu’il aurait pas fallu rester écouter pour pas que ça puisse exister. Au lieu de ça, le gosse, Grizzly et moi, on fixait Roq qui jouissait déjà de sa propre horreur. Je voyais son œil bander de la paupière. Le gosse et Grizzly ont eu la même expression sur le visage. Une contraction violente des joues.

L’auteure nous tient en haleine tout le livre, son écriture vive nous font tourner les pages avec impatience. La noirceur qui se dégage des hommes atteint son summum lorsque la nuit, l’ennui, l’alcool font que plus rien n’a de limites jusqu’au dénuement final. Qui d’ailleurs m’a laissé là, seule, et un peu perdue dans cette immensité de blanc. C’est un livre qui vous remue les tripes ! Il ne peut laisser indifférent, il va au plus profond du cœur noir des hommes.

Claude

Première page. (Je mets ici, la première page du premier chapitre, je préfère si vous décidez de le lire, vous laisser découvrir le « premier paragraphe prologue »). J’ai aimé le faire.

QUELQUE PART AU NORD DU CERCLE POLAIRE AVANT LA FIN DU SIÈCLE PASSÉ

AOÛT

Un autre câble en l’air, une langue qui se déplie depuis la gueule de l’hélico et une silhouette de gamin qui descend laborieuse, c’est pas bon signe, bordel. Il va pas rester coincé entre ciel et terre ce couillon-là qui jette des regards dessous lui ? Il doit être en train de se demander ce qu’il est venu foutre dans cet enfer qui se passait très bien des hommes, mais il faut bien qu’il y ait un lieu, c’est celui-là. Sûr que ça s’oublie pas, le spectacle qu’il devine au bout du vide, là tout en bas, à la racine du vertige, le gros œil de la presqu’île qui le fixe mauvais sous ses paupières d’eau froide. Le câble coulisse, le gamin se balance dans les rafales, agrippé au filin comme un nourrisson à sa mère. Nous trois on le regarde faire, têtes en l’air, cou cassé. Ceux de là-haut continuent à dérouler le fil qui est plus qu’à quelques mètres du sol. Enfin la queue du câble caresse les poils de la toundra et le gamin pose deux guiboles flageolantes par terre, tête baissée sous la capuche fouettée par l’air. Avec le vent et le souffle de l’hélico, ça lui prend plusieurs minutes de se détacher du harnais, sans parler du froid qui engourdit les doigts. Il nous fait signe, se met à l’écart.

Solak de Caroline Hinault. Éditions rouergue noir.

Capture d’écran 2021-07-09 165502

 

 

 

 

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Commentaires
J
glaçant, le mot est faible...
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T
Brrr. Moi qui déteste le froid, un froid polaire, c'est encore plus glaçant ;-)
Répondre
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