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De Bloomsbury en passant par Court green...
30 juillet 2021

Une ville de papier

Une ville de papier
Olivier Hodasava

Je suis géographe de formation, j’ai fait de la cartographie, j’ai toujours aimé les cartes, qu’elles soient routières, du ciel, des océans, de la météo. Et vous pouvez-me croire des cartes océanographiques et météorologiques quand on est climatologue on en fait !! Je me suis même retrouvée dans un des personnages, car enfant, il n’était pas rare que je m’imagine des mondes avec ses cartes, ses étoiles etc.

J’avais entendu dire qu’avant Internet, pour être sûre de ne pas être plagiées des grandes firmes inséraient un nom de ville imaginaire dans leurs cartes. Si bien que si un de leurs concurrents copiait la carte, il pouvait le mettre devant le fait accompli. Mais je l’avais oublié, et je ne savais pas que cela se faisait également pour les cartes du ciel. Aujourd’hui, tout cela est terminé.

Mais venons-en à ce merveilleux livre qui raconte l’histoire (fictive) de Rosamond dans le Maine aux États-Unis, créée par ESSO dans un temps où les grandes firmes automobiles distribuaient gratuitement leurs cartes routières pour inciter le client à voyager et donc à acheter une nouvelle voiture. Bon, aujourd’hui, peu de gens regardent encore les cartes, mais moi, si, j’aime cela, même si le GPS est bien pratique ! L’auteur s’est inspiré d’une véritable ville de papier « Agloe » dans l’État de New York.

Un journaliste sur la demande d’un ami, doit faire un article sur les villes de papier. Il rend un billet très généraliste, mais celui-ci a du succès et il décide d’écrire un livre. Son choix s’arrête sur Rosamond, dans le Maine aux États-Unis. Il l’a choisi car quelques années après sa création, un procès pour plagiat a été fait, et perdu. Dès le début l’histoire est fascinante, tout commence par un cartographe amoureux, dont le patron satisfait de son travail décide de lui confier le choix d’un nom et d’un lieu d’une ville de papier pour sa nouvelle carte du Maine. Desmond Crothers doit se marier quelques semaines plus tard avec Rosamelia, il voit cela comme un beau cadeau de mariage. Page 17. Il attend le déclic. Et finalement, le déclic survient, un petit mois avant le mariage. Dans le même mouvement, balayant le territoire de la carte, son œil tombe sur Belfast et Mexico, deux bourgades du Maine distantes l’une de l’autre de 75 miles. Il réalise qu’il a trouvé : lui est de Belfast ou presque – ses parents ont émigré alors qu’il était dans le ventre de sa mère. Ses ancêtres sont de Carryduff, un bourg situé à une dizaine de kilomètres à peine de la toute jeune capitale nord-irlandaise. Rosamelia est née à Mexico City. Pour sceller leur union, il suffit de tracer un trait entre ces deux villes symboles de leurs origines. Pile au milieu du segment, il placera sa ville imaginaire. Il sort règle et crayon, trace, mesure, craint un temps de pointer au plein cœur d’un lac (ils sont nombreux dans la région) mais non, il tombe – le Maine est décidément un État riche en homonymie – à proximité d’une intersection de routes, à égale distance entre deux patelins, Belgrade et Oakland. Dans la marge de la carte, en lettres capitales, il inscrit : ROMELIA, DESMOND. Puis, en dessous, à la façon d’un tour de passe-passe qui devient soudainement évident : ROSAMOND, union des deux prénoms. Il jubile, voudrait ouvrir la fenêtre pour crier son bonheur. Comment n’a-t-il pu y penser plus tôt ? Lindberg adore aller à la pêche et le point qu’il vient de définir est tout proche d’une belle étendue d’eau ; il voudra y voir un signe. Oui, décidément, tout est parfait. Rosamond ! Il est prêt à se battre pour ce nom. Et Lindberg n’a-t-il pas présenté son invitation à trouver le Copyright Trap comme un cadeau de mariage ?
Ce soir-là, Desmond Crothers a un mal fou à trouver le sommeil.

Puis un épicier décide de s’intaller et de donner vie au panneau Rosamond, et ainsi de suite s’ensuivent des drames, procès, Alfred Hitchkock, un épisode de Twilling Zone, les projets de Walt Disney, le passage de Stephen King etc. Mais le plus passionnant est de suivre le journaliste dans ses recherches, il retourne sur le lieu, il cherche et trouve des témoins directs ou indirects, il trouve les familles, les interroge, et de cette ville de papier en fait un lieu de vie, de souvenirs.

C’est un de ces livres qui lorsque vous commencez la première ligne vous ne fermez qu’à la dernière (si vous êtes en vacances ou en week-end !) et qui vous laisse une sensation magique, quelque chose qui vous touche et qui vous est inconnu à la fois.
Claude

Première page

Bien sûr, il arrive à Desmond Crothers de déjeuner à l’extérieur. Avec des clients ou des collègues, par exemple. Cela lui arrive relativement souvent, mais c’est la première fois qu’il se retrouve ainsi seul au restaurant avec Otto G. Lindberg, son patron. Ils sont installés l’un en face de l’autre dans la salle du fond de chez Mueller, sur la 49e Rue – banquettes capitonnées, nappes brodées, lustres de cristal. Lindberg a choisi l’établissement, expliquant, la voix pleine de nostalgie, qu’il lui rappelait l’Europe qu’il a quitté il y a maintenant près de vingt-cinq ans.
On est en avril 1931 et la General Drafting, société spécialisée dans la cartographie qu’Otto G. Lindberg a créée à partir de rien deux ans seulement après son arrivée à New York est devenue une entreprise florissante. Il a eu le flair, Lindberg, en choisissant de se spécialiser dans la cartographie routière au moment même où l’industrie automobile s’apprêtait à connaître un spectaculaire essor. La General Drafting est dorénavant, aux côtés de Rand McNally et d’H.M. Gousha, l’un des trois mastodontes qui trustent la quasi-totalité des marchés du secteur en proposant des cartes livrées clé en main aux grandes compagnies pétrolières. Elles sont demandeuses de pareils produits à offrir pour fidéliser leurs clients ; la General Drafting est en contrat, entre autres, avec Esso, Exxo ou Chevron.

Desmond Crothers a toujours eu l’impression d’être un élément apprécié par ses chefs et malgré la crise générale qui frappe le pays, pour la Genéral Drafting, le travail ne manque pas. Lorsqu’Otto G. Lindberg en personne est venu le trouver, ce matin, pour lui proposer ce déjeuner en tête-à-tête, il s’est pourtant senti saisi d’une trouille irrationnelle.

Une ville de papier, Olivier Hodasava. Éditions INCULTE.

ppp

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Commentaires
J
J'espère que cela te plaira Colo, il se lit très rapidement. à tout bientôt. Claude
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C
Bonjour Claude, adorant les cartes moi aussi, je note ce roman que tu dis passionnant...quitte à passer une nuit blanche comme Desmond Crothers !<br /> <br /> Bon dimanche, merci
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