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De Bloomsbury en passant par Court green...
8 août 2021

La certitude des pierres

La certitude des pierres
de Jérôme Bonnetto

Cette fois, Jérôme Bonnetto nous conduit dans un village de montagne, un village de chasseurs, où depuis bien longtemps les bergers sont partis.

Guillaume dont les parents habitent depuis leur retraite, a décidé de monter une bergerie. Rapidement, il ressent une atmosphère plus ou moins hostile. Pierre par pierre il construit son rêve, il choisit méticuleusement ses moutons, il travaille avec acharnement. Pages 23-24. Guillaume était tendu vers son objectif. Il n’avait rien d’un aventurier ou d’un illuminé. Il savait que la réussite n’était qu’une question de courage. Il fallait se préparer : se documenter, compter, planifier et mettre un peu d’argent de côté. Il enfilait un costume le jour, descendait en ville faire le vigile, l’air sévère, aux portes d’un supermarché, et le soir, il sortait ses livres et ses cahiers, recopiait méticuleusement des notes, traçait des colonnes, collait des images. Il fallait faire le dos rond, supporter les remarques désagréables du patron, les regards suffisants des clients, les fausses excuses des petits chapardeurs, et ce n’était pas si difficile quand on considérait la récompense. Cette différence de destin le rendait immanquablement plus sympathique que les autres cerbères.
Encore quelques mois d’effort qui aiguiseraient la volonté de Guillaume, son enthousiasme, sa détermination. Il concoctait le rêve de sa vie avec la rigueur d’un capitaine d’infanterie. Il ne vieillirait pas avec des regrets.  C’était décidé, c’était planifié, c’était fait.

Quand celui-ci voit enfin le jour, il s’avère que ses bêtes paissent sur le territoire de chasse aux sangliers. Alors qu’il est dans son plein droit, les pressions se font de plus en plus violentes. Page 84. Guillaume se préparait pour la transhumance. Mais il avait beau compter et recompter, il manquait six moutons dans le cheptel. La nuit avait fait son travail de sape, il aurait suffi de lire l’avenir dans les balles des chasseurs.
Pour la première fois, le berger comprenait ce qui lui arrivait. Il y avait une logique. Un chien, six moutons. C’était le taux d’usure que Joseph avait établi.

Les chasseurs ont un poids énorme dans le village, ils dictent leurs lois au-dessus de la loi.

La Saint-Barthélemy rythme le livre, chaque année un « état des lieux » est fait. Page 29.
 DEUXIÈME SAINT-BARTHÉLÉMY
On ne pouvait pas traiter le jeune berger de fainéant. Pourtant, on aurait aimé. On l’avait vu monter toute la bergerie sur son dos : des planches, des tôles, une à une, des parpaings, des outils, par douzaines. C’était un vrai travail d’un autre temps. On l’avait plaint, un peu. Le berger commençait à l’aube et finissait au crépuscule. La chaleur était un poids à elle seule. Elle liquidait le corps, en extrayait les os. Elle sculptait le berger, le taillait dans la roche. Petit à petit, ses épaules s’élargissaient, il tirait une force de la montagne. Il devenait la montagne. On avait vu Jean de Florette à la télé. On pensait que c’était trop pour un seul homme.
Pauvre bête de somme. Pauvre fada. On se disait qu’il n’avait pas de bosse, le berger, mais tout de même. Son visage se creusait un peu plus à chaque passage, et plus ses pommettes saillaient au-dessus de ses joues, plus son âme irradiait une lumière étrange, inquiétante comme un vent d’est. Il l’avait depuis longtemps dans ses yeux, cette bergerie, et depuis qu’il l’avait sur son dos, on sentait bien qu’il irait jusqu’au bout.

L’atmosphère du livre est pesante, noire, la bêtise de l’homme lisible à toutes les pages. C’est un livre très fort, les traditions y ont un poids énorme, elles décident de la vie et de la mort.

Après cette lecture, j’ai eu un mal fou à trouver un autre livre, un « suivant », alors j’ai changé de registre complètement, c’est la meilleure chose à faire dans ces cas-là ! Il est difficile de passer de la certitude des pierres à un autre roman, cela m’arrive très régulièrement, comme « le silence des carpes » ou « lilas rouge »…

Claude

Première page
PROLOGUE
Le vent de Ségurian remonte le chemin Saint-Bernard et va se perdre tout en haut de la montagne, au-delà des forêts. C’est un vent tiède et amer comme sorti de la bouche d’une vieille, un souffle chargé de poussières de cyprès et d’olives séchées qui emporte avec lui les derniers rêves des habitants et les images interdites – les seins de la voisine guettés dans l’entrebâillement d’une porte, les rires des bommes à tête de chien, la dame blanche qui hante les bois. Dans sa course, il écarte ses bras et fait bruisser les feuillages des arbustes, les herbes folles, comme une rumeur. Partout sur les chemins, il efface les traces de pas.
Le village est plongé dans la torpeur, il est un corps suspendu, pour quelques instants encore, le temps de planter le décor.
On dort. Personne ne sait à qui appartient la nuit. Tout est gris-mauve et les chats ont des yeux de loup. La montagne le sait : bientôt, le disque solaire se reflétera dans la mer et la loi des hommes reprendra ses droits. Tout pourra recommencer.
On allume ici une lampe, là une cafetière, on fait glisser une savate, claquer l’élastique d’un slip. On avance à petits pas.
On a transpiré toute la nuit dans la mollesse des matelas, on s’est tourné et retourné en quête d’un peu de frais, pour quelques secondes à peine, pis on a retrouvé la chaleur froissée des draps. On en veut à l’autre d’être gras, de dégager toute cette moiteur, si bien qu’on a fini par le pousser un peu du talon, comme ça, en douce, pour gagner quelques centimètres.

La certitude des pierres de Jérôme Bonnetto. Éditions INCULTES, collection BARNUM.

Capture d’écran 2021-08-08 174322

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