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De Bloomsbury en passant par Court green...
9 mars 2023

Elle avait les yeux verts

Elle avait les yeux verts
d’Arnost Lustig

Hanka est emprisonnée avec des milliers de prisonniers au camp d’Auschwitz. C’est une jeune fille rousse aux yeux verts, une magnifique femme-enfant de 14/15 ans. Elle a vu disparaître toute sa famille. Elle est comme tous les êtres humains vivants à Auschwitz à la merci des abominations nazis. Pages 91/92. Un jour, on avait pris une cinquantaine de filles au bloc 18 pour nettoyer le crématoire II sous les ordres des SS. Fine s’était retrouvée dans une espèce de garage en sous-sol, éclairé par trois ampoules fixées aux poutres du plafond dans des cages de fer. Sur les murs, où le béton était fissuré, il y avait des taches brunâtres. Des taches aussi au sol. Jusqu’au plafond. Personne n’avait dit que c’était du sang. Tout d’abord elles avaient été contentes, ou plutôt rassurées d’être là dans une salle de douches. La porte avec son judas en verre laiteux, tellement épais qu’on aurait dit là aussi du béton, était restée tout le temps ouverte. Elles n’avaient donc pas remarqué s’il y avait ou non une poignée à l’intérieur, mais la poignée extérieure était en acier, avec une serrure et un moraillon de fer. Elles étaient dans une chambre à gaz. Elles lavaient par terre dans une chambre à gaz. Fine voyait le béton foulé par les pieds nus des enfants, des femmes et des hommes, vieux et jeunes, tous ensemble.

Pour survivre, elle doit devenir prostituée dans le camp, sinon sa mort sera certaine. Pendant quelques semaines avant la libération d’Auschwitz, elle devient l’esclave sexuelle des soldats, des gradés. On l’appelle alors, Fine. Pages 373/374. Je vois Fine qui, lors de sa première passe, se fait l’effet d’un morceau de viande rose à l’étal du boucher. Douze fois par jour, je regarde avec elle les clients franchir le seuil. Les visages, les corps. Les bottes. Les pantalons. Les chaussettes russes. Tous les jours sauf le dimanche et, parfois, le dimanche aussi. Je m’imagine Cricri et Gros-Ventre. L’Asperge qui aurait craché sur le sexe d’un soldat en disant : « Tu peux disposer. » Le mur nord de la propriété. Le portail avec son aigle impériale en tôle. Les corbeaux qui se découpent sur le fond blanc de la plaine. La liberté qui n’appartient qu’aux oiseaux, aux rats et aux loups. Les brouillards argentés, la rivière prise dans les glaces.

Quelques mois après la fin de la guerre, elle rencontre Adler qui lui donnera la force d’avancer, de survivre. Avec lui, elle peut raconter, même si cela ne la délivrera jamais. Ils passeront leur vie ensemble. Page 144. Mon chemin croisa celui de Hanka kaudersava, dite Fine, à Prague, trois mois après la fin de la guerre. C’était en pleine canicule d’août. Jours étouffants, ponctués de brefs orages. L’attrait que je lui trouvais aurait sans doute eu, chez toute autre, l’effet inverse. Je devinai de prime abord qu’elle savait quelque chose dont elle ne voulait pas parler, quelque chose dont pour ma part, j’aurais peut-être intérêt à ne pas me mêler. Plus je me montrais curieux, plus elle était réservée.

Mais ce n’est pas si simple, les traumatismes subis pendant la guerre la poursuivent jusque dans son sommeil. Comme pour chaque personne ayant subie des horreurs ! Page 374.  Deux mois après la guerre, Hanka kaudersova rêva qu’elle rendait visite au capitaine Daniel August Hentschel. Il était descendu à Prague, au Grand Hôtel Evropa, garant sa Horch noire blindée sous les tilleuls de la  place Venceslas. Il avait laissé quelques bricoles pour elle sur une chaise. Penchée par-dessus la table, elle tendait le bras vers ces cadeaux lorsque le gérant de l’hôtel, en souliers à glands et uniforme vert aux boutons en os, s’approchait par-derrière, lui collait le canon d’un pistolet sur la tempe et tirait. Elle s’effondrait. Le coup lui avait fait sauter la cervelle, mais elle vivait encore. C’est alors que son officier rentrait. Le gérant la traitait de voleuse. L’officier confirmait que les objets étaient bien des cadeaux pour elle. Le gérant haussait les épaules et se lançait avec l’officier dans des conjonctures sur la partie de son cerveau qui avait été endommagée. Il s’agissait apparemment des centres de la motricité. Fine était choquée par le peu d’intérêt que l’un et l’autre lui témoignaient.

Arnost Lustig écrit un roman poignant, qui retrace l’incroyable cruauté humaine et aussi tout ce que la nature humaine peut mettre en œuvre pour survivre ! Quel courage ! Quelle force il a fallu à tous ces enfants, femmes, hommes, quelque soit leur âge, leur nationalité, leur religion, leurs idées…
Son écriture est limpide, elle nous emmène au  plus profond de l’horreur, nous met face à des situations où la seule façon de survivre est la soumission. C’est un très beau livre, un très beau témoignage, touchant et comme tous ces livres traitants de ce sujet frigorifiant !

Claude

 

Première page
1
Des unités de Waffen-SS arrivaient depuis tôt le matin. Face à l’afflût, elles se virent imposer des heures supplémentaires, jusqu’à la tombée du jour.

Quinze : Hermann, Hammer, Fritz Blücher, Reinhold Wuppertal, Siegfried Fuchs, Bert Lippert, Hugo Redinger, Ulrich Liebel, Alwin Graff, Siegmund Schwerstein, Herbert Gmund, Hans Frische, Arnold Frey, Philipp Petsch, Mathias Krebs, Ernst Lindow.

Le mur d’enceinte se coiffa pendant la nuit d’une crête de neige pareille à une toque de cuisinier étirée vers l’arrière. À l’aube, sous un ciel balayé par les dernières bourrasques de la tempête, on aurait dit qu’il avait neigé du sang. Le sol baigna quelques minutes dans une débauche de pourpre et de rubis. Un silence impalpable reposait sur le pays.

Elle avait les yeux verts, de Arnost Lustig, traduit du tchèque par Érika Abrams. Éditions Galaade.

 

elle avait les yeux verts

 

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Commentaires
P
Mon épouse avait lu ce livre il y a quelques années et en a gardé un vrai souvenir, tant celui-ci était poignant (https://etsionbouquinait.com/2018/03/03/arnost-lustig-elle-avait-les-yeux-verts/). Merci pour cette belle chronique.<br /> <br /> Serait-il possible de mettre cette lecture dans le cadre de notre Mois de l'Europe de l'Est ? Elle y aurait pleinement sa place. Merci. Patrice
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J
Bonjour Dominique, oui, je suis comme vous. à bientôt. Claude
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D
je lis régulièrement des livres sur le sujet même si c'est difficile car s'est important de ne jamais oublier
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