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De Bloomsbury en passant par Court green...
17 novembre 2023

Le garçon du dehors

Le garçon du dehors
de Jeanine Cummins

 

Dès les premières lignes de ce livre, j’ai su qu’il était pour moi, je suis rentrée immédiatement dans son univers. Un univers que je ne connaissais pas, celui des travellers Irlandais, ces gens qui parcourent sans cessent les routes. La plume si je puis dire de Jeanine Cummins m’y a bien aidé ! Son écriture est fluide, elle décrit avec aisance les personnages, lieux, actions, sentiments, ses mots sont justes, le tout est parfois poétique.
Page 16. Dans une des rares nuits sèches de l’été Irlandais, quand j’avais sept ans, les sédentaires sont venus chercher Grand-Pa. On pionçait tous quand leurs fichues lampes frontales m’ont balayé la figure dans le noir et qu’elles ont projeté leurs lune rondes et aveuglantes sur la toile de la tente au-dessus de moi. J’ouvrais des mirettes aussi grandes que ces cercles lumineux, mais j’ai pas bougé une oreille. Papa ronflait toujours à côté de moi quand j’ai entendu la portière de la voiture s’ouvrir, puis deux pieds se planter dans le gravier de la route. Le conducteur a laissé le moteur tourner. « Papa, j’ai murmuré en lui donnant un coup de coude pour le réveiller. Y a quelqu’un. »
Il s’est redressé en vitesse et en silence, dégageant ses jambes de sous la couverture pour s’accroupir à côté de moi. Il a posé un doigt sur ses lèvres en me faisant signe de déguerpir dans le coin le plus éloigné, où j’éviterais peut-être de recevoir un caillou sur la tête, au cas où on en serait bombardés.
Ces lampes frontales, c’était jamais synonyme de bonnes nouvelles. Si c’était des gardai, ils nous diraient juste de dégager. Ils nous y encourageraient. Ils éteindraient peut-être même le feu en y envoyant de la terre à coups de pied et en élevant leurs voix nocturnes aux accents de péquenauds.
Mais si, à la place, c’était des sédentaires bagarreurs, qui rentraient chez eux en zigzaguant après une nuit de biture, y aurait peut-être des mots plus pâteux, bafouillés et vicieux. Une volé de cailloux, pour nous rappeler de ne pas rester trop longtemps dans leur ville. Y aurait peut-être…
« Les Hurley ? » La voix était proche de l’ouverture.

Elle articulait bien. Aucune trace d’hostilité. La voix était accroupie, aussi calme que Papa, qui a soulevé le rabat de la tente, comme les couvercles des œilletons de ces fichues lampes frontales, et maintenant elles brillaient directement à l’intérieur, et on pouvait pas se cacher de ces rayons-là. On était éclairé pareil qu’en plein jour. Papa s’est protégé les yeux d’une main, et j’ai vu le sédentaire, courbé au niveau de la taille. Il était mince, jeune. Il a demandé : « C’est vous qui campez là, les Hurley ? J’ai besoin de Stephen Hurley. »
Sa voix avait quelque chose de désespéré, un tremblement.
« Vous êtes qui ? 
- Je m’appelle Joe Burke, et mon père, c’est Eamonn Burke, d’en haut du vallon, et on a une jument très malade, qui va avoir un petit. » C’était rien qu’un gamin, seize ans peut-être, les mots culbutaient hors de sa bouche, éraillés. Quand Papa a émergé dans l’ouverture, Joe Burke a reculé pour lui faire de la place. Mon père avait minimum une tête de plus que lui, et il était deux fois plus large.
« S’il vous plaît, on a besoin d’aide, a repris le gamin. Bous être Stephen Hurley ? »
Mais Papa l’avait déjà dépassé pour aller se courber devant la tente de Grand-Pa. Trois minutes plus tard, j’étais assis à l’arrière de la berline de Joe Burke, la sacoche noire magique de Grand-Pa sur les genoux.

L’histoire se situe en 1959, un groupe de travellers irlandais composé de trois roulottes tirées par des chevaux sillonne le pays.  (« travellers » ou « peuple marchant », aussi appelés péjorativement « tinkers » (les rétameurs), sont une catégorie nomade de la population de ce pays. Ils se différencient des Roms et des gitans car ils sont de souche autochtone. Déf. Page 9)Il est composé des grands-parents dont le grand-père est le chef du clan, de leurs deux fils et de leurs petits-enfants. Par chance pour se groupe, le grand-père est reconnu comme un grand vétérinaire par les éleveurs, ce qui leur vaut un peu moins de problèmes avec les autochtones. L’histoire que nous fait découvrir Jeanine Cummins est celle de Christopher, 11 ans, orphelin de mère, qui vénère son grand-père, qui est pour lui son confident, son repère, il le seconde d’ailleurs lorsqu’il va soigner les animaux dans les fermes. Il le respect comme il respect son père. Découvrir la vie rude de ces gens, leur travail, leur mentalité, leur joie autour du feu le soir est un réel plaisir, les mots nous entraînent avec eux.

Le clan ne reste jamais plus de 2 ou 3 jours dans le même endroit, il sillonne le pays, jusqu’au jour où le grand-père meurt. Il se passe alors un événement qui bouleverse tout (je ne peux vous le révéler, seulement que cela changera à jamais la vie de Christopher). L’auteure dépeint magnifiquement les funérailles, les clans qui viennent de partout se rassembler pour le dernier hommage, les roulottes décorées, le respect au mort et à la famille, le défilé incessant des roulottes le long de la route et des villages, les regards d’hostilité des sédentaires lorsqu’ils passent…

Le groupe décide de s’arrêter quelques mois dans un village pour que Christopher et son cousin Martin, puissent faire leur communion et aller un peu à l’école. Connaissant l’animosité des locaux à leur égard, ils appréhendent de se retrouver chaque jour confronter à des situations difficiles. Heureusement pour Martin qui aime lire, une libraire lui prêtera des livres et lui permettra de penser que tous ne sont pas contre eux.

Mais avant tout, il faut s’inscrire à l’école, et pour cela, il faut un certificat de naissance. Alors que la mère de Martin a le sien, le père de Christopher doit écrire un courrier pour se le procurer. Le jeune garçon ne comprend pas, pose des questions qui resteront sans réponses. Puis, il trouve un vieux journal, lors de la mort du grand-père, il avait trouvé une photo, et les questions se multiplient… Pour lui commencera une quête.

C’est un superbe roman d’apprentissage, d’amour filial et de chagrins, de partage, une plongée dans un univers qui nous paraît rude et inaccessible à la fois. Un roman qui nous fait découvrir la vie des pavees (travellers), un monde que nous ne connaissons pas, nous dans nos maisons. Pour ma part, j’ai adoré me promener sur la route avec eux tous, ce roman, je n’avais pas envie de le quitter.

Claude

 Première  page
Prologue

Irlande, 1959

Je rêvais de chevaux violets. Moi sur l’un d’eux et Martin sur l’autre, et on montait à cru et on faisait la course. C’était pas des poneys gitans pie lents et costauds comme on en avait presque tous à l’époque en Irlande, faits pour tirer nos maisons-roulottes partout où on allait. Non, dans ce rêve, moi et Martin, on faisait la course sur des pur-sang foudroyants comme dans une vraie course, du genre de celles de Punchestown, à Dublin. Et les gens agitaient les drapeaux aux couleurs de leurs favoris en rugissant, sans se soucier qu’on était des travellers. Ils nous adoraient quand même. Nos étalons violets faisaient au moins seize mains de haut, et on était si rapides là-dessus qu’on s’envolait presque.

Le garçon du dehors, de Jeanine Cummins traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Auché. Éditions Philipe Rey.

 

Capture d’écran 2023-11-17 184355

 

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Commentaires
T
Ton billet enthousiaste me le fait noter, merci, Claude.
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