Toute passion abolie
Toute passion abolie
de Vita Sackville-West
À la mort de son mari, Lady Slane annonce à ses 5 enfants qu’elle a loué une maison et qu’elle va s’y retirer seule. p. 63. La maison attendait simplement depuis bien longtemps qu’on vienne l’habiter. Depuis ce jour où Lady Slane l’avait vue pour la première fois, elle n’avait été louée qu’à une seule occasion, à un vieux couple très tranquille, menant sa vie sans plus d’histoire que la moyenne des êtres humains.
Elle a 88 ans, elle était mariée depuis plus de 60 ans, elle était passée à la maison paternelle à celle d’Henry, son mari. p. 131. Henry, par amour pour elle, l’avait privée de sa vraie vie, mais lui en avait offert une autre, plus vaste, qui lui ouvrait, si elle le souhaitait, les portes du monde. Elle avait également été mère. Ainsi, elle n’avait jamais vécu sa propre existence, mais bien celle qu’Henry et leurs enfants lui avaient imposée. Pour Henry c’était tout naturel. Il ne lui était jamais arrivé de penser qu’elle préférât simplement être elle-même.
Étouffée par le carcan de la bourgeoisie du 19ème siècle, elle décide de vivre la fin de sa vie libre, et, estime n’avoir de compte à ne rendre à personne. Elle se sent libre de voir qui elle veut, de faire ce qu’elle veut de ses journées, de ses biens, etc. Tout ceci au grand dam de ses enfants. Elle ne leur cèdera pas, et, c’est dans cette demeure, toute passion abolie par l’âge et le choix du détachement, qu’elle se fera de nouveaux amis, éloignera sa pesante famille, retrouvera un ancien admirateur, se questionnera, et, se souviendra.
Toute passion abolie, de Vita Sackville-West, traduit de l’anglais par Micha Venaille. Éd. Le Livre de Poche.
Première page
C'est probablement parce qu'Henry Lyulph Holland, premier comte de Slane, vivait depuis si longtemps, qu'on avait fini par le croire immortel. La longévité rassure et, la première réticence passée, chacun est prêt à considérer le très grand âge comme une marque évidente de supériorité. Chaque vieil homme n'a-t-il pas triomphé d'au moins un des handicaps que la vie nous impose : sa brièveté? Ainsi a-t-on la sensation de dominer le monde lorsqu'on a réussi à dérober une trentaine d'années à l'anéantissement éternel ! C'est donc avec une certaine incrédulité que, dépliant leurs journaux dans le train par un tiède matin de mai, les employés de la City y découvrirent que Lord Slane était mort subitement la veille, juste après le dîner, à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans. Sentencieusement, tous conclurent : « le cœur... » comme le journal le laissait d'ailleurs entendre. Et c'est en soupirant qu'ils ajoutèrent : « Encore un point de repère qui disparaît. » Et en effet, cette insécurité nouvelle était bien le sentiment qui désormais dominait.
C’est un très beau texte, sensible et délicat, un très bel hymne à la liberté. Je suis une personne solitaire, alors, je comprends d’autant plus ce besoin.
Dans sa retraite sereine et heureuse, Lady Slane se questionne sur ses choix de vie, sur la position de la femme dans la société du 19ème siècle, sur l’évolution des passions et des sentiments. p. 169 La tendresse était un sentiment que Lady Slane avait oublié. Certes, elle aimait bien M. FitzGeorge, Genoux aussi, et M. Bucktrout, bien qu'à un degré moindre, également M. Gosheron. Mais c'était un sentiment tranquille et paisible, à l'image de ce qu'elle était devenue. Elle ne ressentait plus que faiblement les émotions, se contentant de penser combien il était agréable de se promener avec M. FitzGeorge, de s'asseoir sur un banc, en l'écoutant évoquer les souvenirs de jours dont l'éclat, même voilé, brillait encore trop fort pour ses yeux fatigués.
Quel beau livre !
Claude