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De Bloomsbury en passant par Court green...
27 mars 2017

Le pays des grenouilles de Pina Rota Fo Voilà un

Le pays des grenouilles
de Pina Rota Fo

Voilà un roman que je n’avais pas envie de quitter, tant par ses personnages, le pays, ou l’évolution de la société qui est décrite au fil des décennies.

Le pays des grenouilles se situe en Basse Lomellina, entre Piedmont et Lombardie. C’est un îlot encadré par 3 fleuves, et où la présence de l’eau a permis de voir se développer les rizières. Au fil du livre, on découvre les différentes étapes de la culture du riz, qui est le travail de la population et son alimentation. Il faut y inclure les grenouilles, présentent en grand nombre dans cet écosystème.

Ce livre est une mine d’informations sur l’habitat rural, le mode de vie, les traditions de l’Italie du début du XXème siècle.

Pages 35-36. Le vétérinaire ne riait plus, il dodelinait de la tête, mortifié. Il comprenait qu'il avait exagéré en provo­quant comme ça ma mère.

Mais maintenant ma mère était partie, il fallait qu'elle se défoule, alors elle continuait sans reprendre haleine :

« Quand ça a été mon tour d'aller dans les rizières, les gardiens de la Chietamai ne frappaient plus, ils n'utilisaient plus la perche, comme pour les vaches et les bœufs... Mais ils nous traitaient toujours comme des bêtes. Ils nous criaient : "Truies, putains, feignasses". Que la plupart d'entre nous soit encore des gamines, ils s'en fichaient... Moi, j'ai commencé à dix ans, et pendant dix ou douze heures d'affilée, je restais penchée, les pieds dans l'eau. Ça me brûlait jusqu'aux genoux, les sangsues et tout un tas de bestioles s'accrochaient à mes jambes si bien qu'ensuite ma peau semblait scrofuleuse. Quand elles passaient sur la digue dans un cabriolet, leur ombrelle à la main, les demoiselles Cairoli, les filles de la "patriote", nous voyaient pliées en deux sur les rizières, mais elles n'y faisaient guère attention : on faisait partie du paysage. »

La narratrice (et auteure) est née fin XIXème  début XXème, dans une famille de paysans de 8 enfants. Elle nous décrit sa famille, leur vie au fil des ans, l’impact des guerres, le départ des aînés, et surtout de l’exode rural qui a commencé à être très importante à cette époque.

Je ne rentrerai pas dans les détails du livre, car l’histoire de la famille est celle de beaucoup d’autres. Ici, l’auteure nous fait vivre la grande histoire des livres, celle de l’exode rural avec son impact sur les familles et l’économie, par le biais des habitants d’un village. Des gens qui n’ont pas fait d’étude, des gens dont les valeurs étaient leur ligne de conduite.

Par les yeux des villageois, on ressent fortement la montée du fascisme. Page 79. Les grèves commencèrent et en même temps que les grèves, l'invasion des fascistes. Ils arrivaient des villages voisins, armés de matraques et de revolvers.

Mon père et le vétérinaire disaient entre eux : « Si tous les paysans étaient des perdapè, il n'y aurait pas de grève. On est dans un cercle vicieux : le patron ramasse les loyers et avec cet argent il vit comme un grand seigneur en ville, le fermier exploite le paysan pour payer le patron, le paysan en a plein les bottes de se faire arnaquer, il relève la tête et, vlan, les coups pleuvent.

D’un point de vue sociologique, l’exode rural connaît une pointe au début du XXème et j’ai beaucoup aimé le vivre à travers les yeux de ces parents, qui sur les 6 enfants survivants, se retrouvent désemparés lorsqu’il apparaît que personne ne reprendra la ferme. La colère et l’incompréhension et le désarroi que cela entraîne sont très bien exprimés. Pages 111-112. Rosina allait se marier, c'était le troisième mariage dans la famille. Elle épousait un employé de Vigevano.

Maman disait à la Bigia, la femme qui nous aidait à la maison et aux champs : « T'as vu un peu les mariages que font mes enfants ? » La Bigia ne répon­dait rien, elle haussait les épaules. Maman insistait : « Ils ont tous de la chance, mes enfants. Ils ont fait de beaux mariages. » La Bigia ne l'approuvait pas. Mon père voyait ses enfants s'en aller l'un après l'autre et feignait de ne pas s'en apercevoir. Parfois il écla­tait : « Ce n'est pas une maison ici, c'est une nichée de cailles becfigues, dès qu'elles ont quatre plumes sur les ailes elles s'envolent... et vont jusqu'au Pô.

— Un jour ou l'autre, moi aussi je ferai la caille bec­figue. » Maman criait plus fort que lui. « Je m'en irai moi aussi de ce village. » Mais elle savait bien que ce n'était pas vrai, qu'elle resterait là pour toujours, enra­cinée dans cette terre, dans cette ferme.

Moi aussi peu à peu j'avais été gagnée par l'idée de partir. Je n'étais partie qu'une fois, pour me faire soi­gner les dents. Mon père m'avait accompagnée chez un dentiste qui se servait d'une fraise à pédale. Celle qui marchait à l'électricité, on n'en trouvait qu'à Milan.

Il appuyait sur une pédale comme un rémouleur. La fraise faisait un grand vacarme. On aurait dit qu'il me torturait.

Quand Rosina fut mariée, la maison sembla plus vide. La table commença à être trop grande pour les cinq d'entre nous qui restaient.

Ce livre, c’est une histoire d’amour familiale, mais aussi la fin d’une façon de vivre. L’exode, le progrès, la mécanisation, les guerres ayants tout emportés sur leurs passages.

Œuvre unique de son auteure, ce livre est merveilleusement écrit. Il est en grande partie autobiographique. Pina Rota Fo est née en 1907, elle a travaillé sur ce roman dans les années 1950. L’analyse de ses personnages et leurs portraits sont bouleversants de vérité. Ceux de la politique tout autant, cela devrait faire réfléchir…

Claude

Première page

Mon père était perdapè. Perd-pieds. C'est ainsi qu'on appelle, en Basse Lomellina, les petits fermiers qui travaillent la terre pendant des heures chaque jour, même le dimanche, peinant jusqu'à « perdre leurs pieds », complètement usés par le sol.

Il était encore un petit garçon quand sa famille venue des Langhe piémontaises traversa le Pô pour venir s'installer à Sartirana.

Mon père se vantait d'être piémontais. Quand il parlait, il mélangeait les dialectes du Monferrato, de la Lomellina, un peu barbare, et l'italien.

Il avait suivi une moitié de dixième. Il n'allait à l'école que l'hiver; il nous racontait que, tous les jours, il devait apporter un fagot de bois pour réchauf­fer la salle de classe et faire sécher ses pieds trempés.

 

Le pays des grenouilles de Pina Rota Fo, traduit de l’italien et présenté par Delphine Bahuet-Gachet. Édtions Cambourakis.

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