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De Bloomsbury en passant par Court green...
5 septembre 2021

La huitième vie

La huitième vie
de Nino Haratischwili
 

Quand j’ai commencé de lire ce livre, une évidence m’est apparue, le mieux est de vous faire lire l’extrait que j’ai choisi. Il nous donne un aperçu de la belle plume de Nino Haratischwili, de l’histoire qu’elle narre sans en dévoiler trop, de son rythme. Car, ce livre, je l’ai lu (ou dévoré) avec une joie incroyable, une envie de tourner les pages sans jamais m’arrêter, et pourtant, il est très dur. Il nous rend compte du poids des générations sur nos vies, il est merveilleusement bien illustré du point de vue politique, géographie etc. Moi, il m’a emporté dans des recherches parce que je voulais en savoir un peu plus. 
Il nous fait revivre la vie de la famille Lachi pendant un siècle, un siècle de tourments en Géorgie.  Huit générations se succèdent, Niza, celle qui raconte l’histoire est de la septième génération, et pour libérer sa nièce de la malédiction qui règne sur leur famille depuis les années 1900, elle décide d’écrire son histoire.

Voilà, je ne vous en dirai pas plus, si ce n’est « bonne lecture ».

Le passage que je vous partage fait partie du « prologue ».

Claude

Pages 18 à 20.
Je m’appelle Niza. Mon nom inclut un mot qui signifie dans notre langue « ciel ». « Za ». Jusqu’ici ma vie n’a peut-être été qu’une recherche de ce ciel qui m’avait été donné dès la naissance comme une promesse sur mon chemin. Ma sœur s’appelait Daria. Dans son nom à elle, il y a le mot « chaos ». « Aria ». Le désordre et le bouleversement, tout foutre en l’air et ne rien remettre à sa place. Je lui dois beaucoup. Je suis redevable à son chaos. Je me suis toujours sentie obligée de chercher mon ciel dans son chaos. Mais peut-être qu’il s’agit simplement de Brilka. Brilka, dont le nom ne signifie rien dans la langue de mon enfance. Dont le nom n’est ni écrit, si stigmatisé. Brilka, qui s’est elle-même rebaptisée et a exigé d’être nommée ainsi avec un tel entêtement que les autres ont fini par oublier son nom véritable.

Même si je ne te l’ai jamais dit, je voudrais tellement t’aider, Brilka, tellement t’aider à écrire ou réécrire ton histoire autrement. C’est pour ne pas m’en tenir à le dire, mais pour le prouver aussi que j’écris tout ça. Pour cette seule raison.

Je dois ces lignes à un siècle qui a trompé et abusé tout le monde, tous ceux qui espéraient. Je dois ces lignes à une impérissable trahison, qui s’est abattue comme une malédiction sur ma famille. Je dois ces lignes à ma sœur, à qui je n’ai jamais pu pardonner de s’être envolée sans ailes cette fameuse nuit, à mon grand-père, à qui ma sœur avait arraché le cœur, à mon arrière-grand-mère, qui, à quatre-vingt-trois ans, dansa avec moi un pas de deux, à ma mère, qui a cherché Dieu… Je sois ces lignes à Miro, qui m’a infusé l’amour comme un poison, je dois ces lignes à mon père, que je n’ai jamais pu connaître vraiment, je dois ces lignes à un fabricant de chocolat et à un lieutenant blanc et rouge, à une cellule de prison, mais aussi à une table d’opération au milieu d’une salle de classe, à un livre que je n’aurai jamais écrit si… Je dois ces lignes à une infinité de larmes versées, je me dois ces lignes à moi, qui ai quitté le pays natal pour me trouver et finalement me perdre encore plus ; mais surtout, c’est à toi, Brilka, que je dois ces lignes.

Nous sommes liés par un siècle. Un siècle rouge. À tout jamais, plus huit. C’est ton tour, Brilka. J’ai adopté ton cœur et catapulté le mien au loin. Accepté mon huit.

Tu es l’enfant magique. C’est toi. Passe à travers le ciel et le chaos, passe à travers nous tous, à travers ces lignes et le monde des fantômes, passe à travers le monde réel, le retournement de l’amour, de la foi, écourte les centimètres qui nous ont toujours séparés du bonheur, passe à travers le destin, qui n’en était pas un.

Passe à travers moi et toi.

Passe à travers toutes les guerres. Passe à travers toutes les frontières. Je te dédie tous les dieux et tous les rosaires, toutes les brûlures, tous les espoirs décapités, toutes les histoires. Passe à travers. Tu en as les moyens, Brilka. Pense au huit. Nous serons tous reliés à jamais dans ce chiffre, nous pourrons nous écouter les uns les autres à jamais, par-delà les siècles.

Tu en seras capable.

Soit tout ce que nous avons été et n’avons pas été. Sois lieutenant, funambule, marin, comédienne, cinéaste, pianiste, amante, mère, infirmière, écrivain, sois rouge et blanche, et bleue, sois le chaos et sois le ciel, sois eux et sois moi, et ne sois rien de tout cela, danse surtout d’innombrables pas de deux.

Passe à travers cette histoire, laisse-là derrière toi.

 

La huitième vie (pour Brilka), de Nino Haratischwili, traduit de l’allemand par Barbara Fontaine et Monique Rival. Éditions folio poche.

Capture d’écran 2021-09-05 181310

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Commentaires
J
C'est grâce à toi que je l'ai découvert ! tu es une grande source d'inspiration pour moi ! Alors un grand merci à toi ! à bientôt.
Répondre
P
"Bonne lecture": voilà un conseil encourageant! Je suis contente de savoir que le livre t'a plu, et t'a inspiré des recherches!
Répondre
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